Hanane Adam a fui les combats qui font rage à Khartoum depuis le 15 avril. Elle passera l'Aïd avec ses six enfants dans un campement de fortune pour déplacés à Al-Hassaheissa, à 120 kilomètres au sud de la capitale. Il ne se passe pas un instant sans que ses enfants âgés de deux à 15 ans ne lui réclament "de rentrer à la maison", raconte-t-elle à l'AFP. "Dans ces conditions, l'Aïd sera triste", se lamente cette femme au foyer.
L'Aïd al-Adha est la plus grande fête du calendrier musulman, au cours de laquelle les fidèles doivent sacrifier un animal à la mémoire d'Abraham qui, selon la tradition, avait immolé un mouton in extremis à la place de son fils Ismaïl. Mawaheb Omar, elle, a tenu à rester dans sa maison de Khartoum avec ses quatre enfants, pour une fête qui s'annonce "misérable et sans saveur : on ne peut même pas acheter de mouton".
"Rêve inatteignable"
Depuis le quartier de Chambat à Khartoum, où il réside avec ses trois enfants, Omar Ibrahim s'interroge: "les canons vont-ils se taire pour l'Aïd?". Avec les combats incessants entre l'armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo, "les rituels de l'Aïd sont devenus un rêve inatteignable", assure-t-il à l'AFP.
Si la guerre a commencé à Khartoum, elle ravage désormais les Etat régionaux qui sont les principaux pourvoyeurs de bétail: le Darfour et le Kordofan, dans le sud et l'ouest du pays, déjà l'un des plus pauvres au monde avant la guerre. Mohammed Babiker, marchand de bestiaux à Wad Madani, à 200 kilomètres au sud de la capitale, s'y fournissait chaque année.
Mais cette fois-ci, "les éleveurs ne peuvent plus acheminer leur bétail jusqu'ici", explique-t-il à l'AFP, entouré malgré tout d'une poignée de moutons sur une des rues principales de Wad Madani. Othmane Moubarak a lui aussi réussi à glaner un petit cheptel, mais à Khartoum, cette année, il n'a "rien vendu". "La fête du sacrifice est la période de l'année où nous faisons le plus de ventes mais cette fois mes collègues et moi sommes au chômage forcé", déplore-t-il.
"Sans salaire depuis trois mois"
Sur le marché de Wad Hamed, à 150 kilomètres de Khartoum dans le Nord épargné par la guerre, Abdallah al-Nemir a lui aussi réussi à rassembler un troupeau. "On a des moutons à vendre mais les gens n'ont pas d'argent, on ne fait pas de ventes, les gens n'ont plus de revenus à cause de la guerre", lâche-t-il.
Les déplacés venus en masse de Khartoum n'ont plus touché un salaire depuis avril : les banques sont à l'arrêt et même l'Etat a mis tous ses fonctionnaires au chômage technique jusqu'à nouvel ordre. "La guerre les a affectés, ils n'ont pas reçu leurs salaires et ne les recevront pas avant un moment (...), la situation est difficile et le pouvoir d'achat faible", souffle Moawiya Mohammed, un marchand lui aussi désœuvré.
Pour réussir à boucler quelques ventes dans un pays où 65% de la population vivaient déjà sous le seuil de pauvreté avant la guerre, les commerçants ont dû baisser leurs prix, rapporte M. Babiker. Un mouton s'échange cette année entre l'équivalent de 160 à 220 euros, contre environ 270 euros pour les plus gros l'an passé.
Imad Mahieddine, fonctionnaire, traverse sans broncher le marché aux bestiaux de Wad Madani. "Simple coïncidence" dit-il, car "sans salaire depuis trois mois, (il) n'achètera pas de mouton cette année".
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