Samedi, 1.314 journalistes, au pays comme de la diaspora, ont élu Abdel Moneim Abou Idriss, 56 ans, correspondant de l'AFP à Khartoum, à la tête d'un bureau de 39 membres.
La tenue même de ce vote dans un pays qui a fait en 2019 sa "révolution" et n'est jusqu'ici toujours pas parvenu à organiser ce qui devraient être les premières élections libres depuis plus de trois décennies, est déjà une réussite, estime Mohamed Abdelaziz, membre du nouveau syndicat des journalistes soudanais.
"C'est un grand pas vers la construction de l'Etat civil et démocratique auquel aspirent les Soudanais", affirme ce reporter de la presse locale.
"Génération entière"
Mais il faut désormais former les esprits, prévient Hend Helmy, professeure assistante à l'Université de Khartoum.
"Ce syndicat est face à un défi énorme: une génération entière de journalistes n'a vécu que sous la dictature" qui "muselait la presse", affirme-t-elle à l'AFP.
Car après avoir déposé Sadeq al-Mahdi, le dernier Premier ministre élu démocratiquement du Soudan, Béchir avait dissous l'ensemble des syndicats. Et celui des journalistes étaient particulièrement dans le viseur dans un pays encore aujourd'hui 151e sur 180 pays dans le classement de l'ONG Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse.
Du temps de Béchir, seule une organisation avait droit de cité: une organisation de journalistes inféodée au pouvoir qui continue de publier des communiqués, dont le dernier en date dénonce le nouveau syndicat comme "illégitime".
Surtout, durant les 30 années de sa dictature militaro-islamiste, de nombreux journalistes ont été arrêtés et, régulièrement, des éditions entières de journaux étaient confisquées car jugées trop peu obséquieuses avec le régime.
Mais en décembre 2018, le peuple soudanais a commencé à se soulever, réclamant "Liberté, paix et justice". Jusqu'à obtenir, après plus de 250 morts, des milliers de blessés et des arrestations de masse, que l'armée destitue son poulain, le général Béchir, et finisse par accepter de le remplacer par un attelage civilo-militaire.
Durant les cinq mois de révolte qui ont mené à l'arrestation de Béchir en avril 2019, au moins 100 journalistes ont été arrêtés, selon RSF.
Quatre mois plus tard, alors que les civils arrivaient au gouvernement, soudainement, même la télévision d'Etat se mettait à couvrir les manifestations alors que les rares médias privés s'aventuraient enfin à parler de politique.
Durant deux ans, les Soudanais ont pu lire dans les colonnes de leurs journaux des éditoriaux critiques du gouvernement et des gouvernants.
"Menacés"
Mais en octobre 2021, un nouveau putsch mené par le chef de l'armée -le général Abdel Fattah al-Burhane, toujours seul aux commandes aujourd'hui- faisait redouter le pire.
A l'aube, alors qu'ils faisaient arrêter ses partenaires au pouvoir, des soldats sortaient manu militari les journalistes des médias d'Etat de leurs bureaux et tournaient le bouton "off" de toute la bande FM.
D'octobre à mars, l'ONG Euro-Med Monitor a recensé 55 attaques contre des journalistes ou des médias, allant des "arrestations arbitraires" au "harcèlement" en passant "par les agressions physiques ou morales" et les "descentes dans des locaux".
Et ce, alors qu'ils couvraient la répression des pro-démocratie, qui a jusqu'ici fait 116 morts dans les rangs des manifestants.
Sous le feu des critiques, notamment de l'ONU qui dénonçait un pouvoir "de plus en plus hostile aux journalistes", le régime militaire a dû redonner de la voix à la quinzaine de radios fermées.
Mais la partie est encore loin d'être gagnée, reconnaît M. Abdelaziz.
"Nous sommes attaqués par des groupes puissants sous Béchir qui se sentent aujourd'hui menacés par notre nouveau syndicat", dit-il à l'AFP.
"Mais il va continuer à représenter les journalistes et leurs ambitions".