"Je suis garé depuis ce matin sans avoir pris un seul client", se plaint Adrian Nyakusvipa. "C'est l'heure du déjeuner, c'est censé être le moment le plus chargé de la journée. Et j'attends toujours dans ma voiture", se lamente-t-il.
"On pensait qu'il y aurait une différence avec l'introduction des billets d'obligation, mais rien n'a changé", constate Adrian, amer. Les clients se font toujours aussi rares.
Le gouvernement a introduit lundi une nouvelle monnaie, censée remédier au manque criant de liquidités dans le pays, qui utilise depuis 2009 le dollar américain et le rand sud-africain.
Sur le marché, sont désormais disponibles des "billets d'obligation" de 2 dollars et des "pièces d'obligation" de 1 dollar, émis par la Banque centrale.
Mais les Zimbabwéens ne font aucunement confiance dans cette nouvelle monnaie, indexée sur le dollar américain.
Les banques sont prises d'assaut par des clients soucieux de retirer autant de liquidités possibles en billets verts.
"J'attends depuis des heures et je ne partirai que lorsque les banques fermeront", explique à l'AFP Lynely Mabona. "Tout ce que je veux est obtenir autant de dollars que possible."
Dans certaines banques à court de dollars américains, les clients n'ont plus le choix: ils ne peuvent retirer que des billets d'obligation.
Certains quittent la banque le portefeuille aussi vide qu'à leur arrivée. Ils refusent d'utiliser les billets d'obligation, persuadés qu'ils vont être rapidement dépréciés.
'Monstrueux bébé'
C'est que le spectre de l'hyperinflation des années 2000 est dans toutes les mémoires.
Le pays avait connu une vertigineuse flambée des prix qui avait atteint jusqu'à 500 milliards pour cent. A l'époque, des Zimbabwéens se déplaçaient avec des sacs, voire des brouettes de dollars zimbabwéens pour faire leurs courses.
La devise nationale avait perdu toute sa valeur, obligeant le gouvernement à finalement l'abandonner en 2009, au profit de devises étrangères.
Même le quotidien d'Etat, The Herald, ne peut pas ignorer l'accueil critique réservé aux billets d'obligation par la population.
Une caricature, publiée mardi dans le journal, représente un nouveau-né appelé "billet d'obligation".
A ses côtés, une infirmière surnommée "la pessimiste" s'écrie "Monstrueux bébé ! Inutile".Une autre, "l'optimiste", lance: "Quel joli bébé. Je suis sûr que tu as un bel avenir devant toi".
Dans des stations essence appartenant à des sociétés étrangères, les pessimistes l'emportent. Les pompistes refusent les billets d'obligation.
"On ne les accepte pas. On attend des instructions de nos supérieurs", explique un employé dans la capitale Harare.
Pour le chef de l'opposition, Morgan Tsvangirai, l'introduction de cette nouvelle monnaie s'apparente à une mesure désespérée du président Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980.
"Le pays est enlisé dans une crise sans précédent. Le président et le parti au pouvoir ne savent pas comment résoudre les problèmes de la population, qui s'aggravent chaque jour, comme le prouve l'introduction des billets d'obligation cette semaine", a-t-il estimé.
Dans les rues de la capitale, la résignation semble l'emporter. Un nouveau slogan a fait son apparition: "On n'a pas d'autre choix que de danser sur la musique qu'on nous passe", résument des Zimbabwéens.
Avec AFP