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L'ombre des tueries de Gukurahundi plane sur le nouveau pouvoir au Zimbabwe


Emmerson Mnangagwa, Pretoria, Afrique du sud, le 21 décembre 2017.
Emmerson Mnangagwa, Pretoria, Afrique du sud, le 21 décembre 2017.

Jochonia Moyo cueille des herbes sauvages pour "se purifier" de peur que sa visite dans l'ancien camp de détention de Bhalagwe au Zimbabwe ne lui porte malheur. Ici, en 1984, il a été battu à coups de gourdin et contraint de frapper d'autres prisonniers politiques.

"Je me rappelle parfaitement ce 8 mars 1984, quand ils m'ont arrêté et amené à Bhalagwe", raconte le sexagénaire. "Pendant notre sommeil, les soldats nous urinaient dessus et certains nouveaux détenus étaient obligés de lécher le sang des femmes qui avaient leurs règles."

Le tort de Jochonia Moyo ? Avoir participé il y a près de quarante ans, juste après l'indépendance du Zimbabwe, à des réunions du parti Zapu alors que le nouveau maître du pays, Robert Mugabe, voulait instaurer un parti unique.

>> Lire aussi : La thèse controversée de Grace Mugabe publiée au Zimbabwe

Entre 1983 et 1984, environ 20.000 civils - responsables et partisans de la Zapu mais pas seulement - ont été tués dans la région du Matabeleland (sud-ouest), selon les chiffres avancés par les historiens.

Emmerson Mnangagwa et le général Perence Shiri figurent au premier rang des exécuteurs de la sanglante répression ordonnée par Robert Mugabe, affirment les experts. Le premier a succédé fin 2017 à M. Mugabe à la présidence du Zimbabwe. Le second a été promu ministre de l'Agriculture.

Le "camarade Bob" a été poussé vers la sortie après 37 ans au pouvoir mais "les coupables des massacres de Gukurahundi sont toujours au pouvoir", s'indigne Mbuso Fuzwayo, de l'association de défense des victimes Ibetshu Likazulu.

Au début des années 1980, Emmerson Mnangagwa était le conseiller en matière de sécurité du chef de l'Etat et, à ce titre, en charge des services de renseignement du Zimbabwe (CIO), explique Stuart Doran, historien et auteur du livre "Kingdom, Power, Glory" consacré aux tueries de Gukurahundi.

Avant le coup d'envoi de la répression, c'est le CIO, affirme-t-il, qui a méthodiquement récolté les noms et adresses des responsables de la Zapu qui devaient être éliminés.

Le général Shiri, commandant de la 5e brigade de l'armée, a lui supervisé "les massacres indiscriminés de civils dans le Matabeleland", ajoute Stuart Doran. "Ce fut la période la plus noire de l'histoire post-coloniale" du Zimbabwe.

- 'Eventrée à la baïonnette' -

Jochonia Moyo a miraculeusement échappé aux tueries. Charles Thomas aussi. Mais au prix de cauchemars qui les hantent encore.

"Il y avait cette femme enceinte de neuf mois", se rappelle précisément Charles Thomas, "la 5e brigade l'a accusée de porter le bébé d'un dissident".

"Ils l'ont éventrée avec une baïonnette (...), ils ont fait cuire le foetus et obligé la famille à danser et chanter autour du feu. Puis ils l'ont contrainte à manger le foetus".

La famille a refusé, deux des grands-parents ont été froidement abattus.

Monica Ndlovu, elle, a perdu son père à Bhalagwe, ainsi que son innocence. "Des fois, j'aimerais tant que ce soit comme de la boue qu'on peut facilement nettoyer avec de l'eau, mais ce n'est pas possible. Je garderai à tout jamais ces images dans ma tête."

"J'étais une jeune femme sans défense, eux avaient des armes. Ils venaient dans nos cellules, nous ordonnaient d'aller nous doucher. Et ensuite, à tour de rôle, ils nous violaient", confie-t-elle.

Eux, c'est la 5e brigade de l'armée du Zimbabwe, entraînée en Corée du Nord. "C'est le diable qui, depuis l'enfer, l'a envoyée", lance Monica, aujourd'hui âgé de 61 ans.

Pendant des années, les massacres sont restés un sujet tabou. Le risque d'être arrêté étant trop grand.

Mais depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmerson Mnangagwa en novembre, la parole se libère, un peu. Le poids du silence est trop lourd à porter, expliquent des victimes, qui rappellent que le nouveau président obéissait alors aux ordres de Robert Mugabe.

Des familles de victimes ont récemment pu défiler librement à Bulawayo (sud-ouest). Elles brandissaient des cercueils en carton pour demander l'exhumation de leurs proches et des obsèques dignes de ce nom. Une manifestation impensable il y a encore quelques mois.

- 'Moment de folie' -

"On ne demandera jamais à Mnangagwa de présenter ses excuses. (...) ses mains sont couvertes de sang", assure Patricia Tshabalala, vêtue de noir en hommage à ses proches victimes de la répression.

"On doit ré-enterrer les dépouilles de nos proches qui ont été tués", insiste l'actuel chef de la Zapu, Dumiso Dabengwa, emprisonné et torturé pendant les tueries.

Dans le camp de Bhalagwe à l'abandon, Jochonia Moyo indique l'emplacement d'une fosse commune. Pas très loin, de nombreux cadavres gisent encore dans des mines abandonnées d'Antelope, affirment des villageois et des experts.

Plus de trente ans après, aucun monument officiel ne rend hommage aux milliers de victimes. Et la région du Matabeleland reste sous-développée, constate David Coltart, auteur de "La lutte continue: 50 ans de tyrannie au Zimbabwe".

Tout au long de son règne, Robert Mugabe est resté très discret sur la question. Il a reconnu en 1999 un "moment de folie". Sans s'étaler davantage.

"Pour que Mnangagwa et Shiri soient crédibles aux yeux de la communauté internationale, ils doivent présenter des excuses pour leur rôle" dans Gukurahundi, estime M. Coltart.

Emmerson Mnangagwa vient d'exclure de le faire. "Ce qui s'est produit a eu lieu. On a mis en place une commission pour se pencher sur le problème", a-t-il expliqué au Forum économique de Davos, reconnaissant cependant que cet épisode tragique représentait une "tache" dans l'histoire du Zimbabwe.

Avec AFP

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