"Tout est prêt désormais pour la lecture des actes d'accusation des suspects de Boko Haram dans les différents centres de détention", a annoncé fin septembre le ministère de la Justice.
Quelque 1.670 personnes détenues dans un centre militaire de Kainji, dans l'Etat du Niger, seront d'abord jugées. Les dossiers de 651 détenus du camp Giwa à Maiduguri, capitale du Borno et épicentre du conflit, "suivront de près".
"C'est le premier procès significatif de suspects de Boko Haram" au Nigeria, relève l'ancien spécialiste du géant ouest-africain au département d'Etat américain Matthew Page, qui souligne que la plupart sont détenus depuis des années dans le secret, sans avoir vu ni avocat ni juge.
Car si des milliers de membres présumés de Boko Haram ont été arrêtés et placés en détention depuis le début du conflit qui a ravagé le Nord-Est du Nigeria il y a huit ans, les poursuites restent rares et, à ce jour, seules 13 personnes ont été jugées et neuf condamnées pour leurs liens avec l'insurrection, selon les chiffres offficiels.
Les conditions dans lesquelles se dérouleront ces procès très attendus soulèvent le plus grand septicisme sur la transparence du système judiciaire nigérian.
Les audiences auront lieu à huis clos, au sein même des centres de détention militaires, a révélé à l'AFP une source judiciaire proche du dossier à Abuja, sous couvert d'anonymat.
"Il n'y aura aucun accès pour la presse", a expliqué cette source. "Des informations qui peuvent se révéler importantes pour la sécurité de ce pays pourront y être abordées".
Umar Ado, un avocat basé à Kano, dans le Nord, estime que cette mise à l'écart des médias "envoie un mauvais signal, que la justice n'est pas rendue ou qu'il y a des compromissions".
"Seront-il jugés ensemble ou un à un?", s'interroge un autre juriste nigérian, John Odubela, dans les colonnes du quotidien nigérian The Guardian, mettant en doute la capacité de la justice à gérer autant de dossiers.
Le ministère a reconnu que de nombreux écueils attendent les juges, évoquant notamment des "enquêtes mal menées" en raison de l'insécurité en zone de guerre et d'une "trop grande dépendance aux preuves basées sur les aveux".
Pression internationale
Pour Matthew Page, "il y a de bonnes raisons de penser qu'un très grand nombre des détenus (qui vont être jugés, ndlr) ont très peu, voire aucun lien avec le groupe" jihadiste.
Les groupes de défense des droits de l'homme dénoncent régulièrement les exactions présumées des forces de sécuritédans un pays où la culture du secret reste très présente après des décennies de dictature militaire (1966-1999).
Au moins 1.200 personnes ont été exécutées sommairement et plus de 20.000 arrêtées arbitrairement dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, affirmait Amnesty International dans un rapport accablant de juin 2015.
L'ONG alertait également sur les conditions de détention "horribles" des centres militaires, où 7.000 personnes seraient mortes de faim, d'étouffement ou de tortures depuis 2011.
Aujourd'hui, "personne ne sait exactement combien de personnes sont détenues, si elles sont encore en vie et où elles se trouvent", affirme à l'AFP Isa Sanusi, chargé de communication pour Amnesty Nigeria.
Le président Muhammadu Buhari, élu en 2015, avait promis d'enquêter sur les accusations de violations des droits de l'homme. Au moins deux commissions ont déjà été mises sur pied mais l'armée a annoncé en juin qu'elle n'engagerait aucune poursuite contre les hauts gradés mis en cause par Amnesty.
Seul un caporal a été condamné à mort en cour martiale pour avoir tué un homme soupçonné d'appartenir à Boko Haram dans le Nord-Est du pays.
Ces scandales ont incité les Occidentaux à la prudence malgré les demandes répétées de soutien militaire d'Abuja pour lutter contre l'insurrection qui a fait plus de 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés.
Un accord de près de 600 millions de dollars, prévoyant notamment l'achat de 12 avions de chasse, avait été bloqué par l'administration Obama après un bombardement "accidentel" de l'armée nigériane d'un camp de déplacés qui a fait plus de 100 morts. L'achat a finalement été approuvé fin août par le Pentagone.
Pour Isa Sanusi, ces procès de masse sont avant tout une réponse à la pression internationale sur le gouvernement nigérian qui "cherche désespérément à se procurer des armes".
Avec AFP