Séoul a gelé cette semaine le déploiement du système antimissiles Thaad ("Terminal High Altitude Area Defense") après une virulente campagne de la Chine qui a alterné représailles économiques et protestations diplomatiques.
Ce gel, qui enfonce un coin dans la politique de sécurité régionale de Washington, est justifié officiellement par la nécessité d'une nouvelle évaluation exhaustive de l'impact environnemental du bouclier. Mais d'après les analystes, il s'agit d'une manoeuvre du président de centre-gauche Moon Jae-In pour se sortir du sac de noeuds diplomatique reçu en héritage de la chef de l'Etat conservatrice destituée, Park Geun-Hye.
"La Corée du Sud est coincée entre la Chine et les Etats-unis. Elle ne peut tourner le dos ni à la Chine son principal partenaire commercial, ni aux Etats-Unis, son principal allié", explique à l'AFP Yoon Sung-Suk, professeur à l'Université nationale de Chonnam.
Le gouvernement a engagé un difficile numéro d'équilibriste. Il explique que les deux lance-missiles déjà installés resteront en place mais que la poursuite du déploiement est suspendue le temps de l'enquête.
"M. Moon joue la montre, il essaye d'éviter d'irriter Washington tout en tentant de sortir de l'impasse diplomatique", poursuit M. Yoon. Le président espère sans doute selon lui que d'ici la fin de l'enquête environnementale, le paysage sécuritaire régional aura changé.
"Il a gagné un an, et d'ici là, il fera tout son possible pour avancer sur la question nord-coréenne de manière diplomatique", explique-t-il.
- Culture du secret -
Mme Park avait donné son feu vert au système Thaad à l'été 2016 afin de faire face aux menaces venues du Nord. Alors qu'elle se retrouvait aux prises avec un retentissant scandale de corruption qui a fini par l'emporter, les procédures d'adoption et d'évaluation environnementale avaient été menées au pas de course.
Puis, quand il est devenu évident que Mme Park allait perdre le pouvoir, le gouvernement "s'est mis à se dépêcher de le déployer, ignorant les procédures en vigueur et dans le plus grand secret", dit à l'AFP Kim Dong-Yub, de l'Institut des études extrême-orientales de l'Université Kyungnam.
La culture du secret n'a pas disparu du jour au lendemain. M. Moon a limogé cette semaine un haut responsable du ministère de la Défense accusé d'avoir "délibérément" maquillé des rapports sur le bouclier pour masquer l'arrivée dans le pays de quatre nouveaux lance-missiles.
Pékin est furieux car il considère que le puissant radar du système est susceptible de réduire l'efficacité de ses propres systèmes de missiles.
Washington considère que le bouclier est un élément essentiel de la défense régionale contre l'agression nord-coréenne.
Séoul tente de réconcilier l'irréconciliable.
Prendre le prétexte de l'environnement pour retarder les choses est "malhonnête mais génial", commente Andrei Lankov, professeur à l'Université Kookmin.
M. Moon ne peut pas donner l'impression de reculer immédiatement car "cela montrerait que la Corée du Sud est vulnérable au chantage chinois, et cela agacerait aussi les Américains", dit-il.
Mais si Séoul poursuit le déploiement, Pékin va renforcer ses représailles non officielles, à savoir l'effondrement du nombre de touristes chinois et un boycottage des magasins du sud-coréen Lotte en Chine.
- L'inconnue Trump -
"La Chine est déterminée à punir la Corée du Sud pour le déploiement du Thaad (...). Le pays s'expose à des sanctions à grande échelle, et il n'en veut pas", ajoute M. Lankov.
Il est vraisemblable, juge-t-il, que Pékin lève à présent le pied sur les mesures de rétorsion, mises en place en avril avec le déploiement partiel du bouclier.
Les analystes s'interrogent sur l'attitude des Etats-Unis. Vont-ils considérer ce report comme une violation de leur alliance avec Séoul ou comprendre la délicatesse de sa position et jouer le jeu?
Pour l'instant, le Pentagone dit faire confiance à la Corée du Sud pour qu'elle s'en tienne à sa décision initiale.
Mais "avec (le président américain) Donald Trump, on ne sait jamais", souligne M. Lankov. "Surtout qu'il a explicitement déclaré que les Sud-Coréens devaient payer pour le bouclier, ce qui a énervé beaucoup de monde ici".
La facture est estimée à un milliard de dollars.
Mais pour Kim Dong-Yub, le bouclier sera bien déployé un jour. "Un virage à 360 degrés, qui mettrait à terre une alliance vieille de dizaines d'années avec les Etats-Unis, est inimaginable".
Avec AFP