RUXELLES (Reuters) - L'Union européenne a formellement accusé Google mercredi d'avoir nui à ses concurrents en favorisant systématiquement son propre service de comparaison de prix dans les recherches sur internet et elle a lancé une enquête antitrust sur Android, le système d'exploitation pour terminaux mobiles du groupe américain.
Dans un communiqué, Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence, a expliqué avoir adressé à Google une "communication de griefs", soit une liste d'accusations à laquelle le groupe peut répondre point par point.
"Je crains que l'entreprise n'ait injustement avantagé son propre service de comparaison de prix, en violation des règles de l'UE en matière d'ententes et d'abus de position dominante", a-t-elle précisé.
"Google a à présent la possibilité de convaincre la Commission du contraire. Toutefois, si l'enquête devait confirmer nos craintes, Google devrait en assumer les conséquences juridiques et modifier la façon dont il conduit ses activités en Europe."
La Commission peut en théorie infliger à une entreprise reconnue coupable d'abus de position dominante une amende susceptible d'atteindre 10% de son chiffre d'affaires annuel, soit plus de 6,5 milliards de dollars (6,2 milliards d'euros) dans le cas de Google, et elle peut lui imposer de changer ses pratiques commerciales, comme elle l'a fait avec Microsoft en 2004 et Intel en 2009.
C'est au géant des puces qu'appartient le record de la plus lourde amende jamais payée à l'UE, d'un montant de 1,09 milliard d'euros.
GOOGLE DIT FAVORISER LA CONCURRENCE ET NON L'ENTRAVER
Interrogée sur la possibilité que la Commission aille jusqu'à infliger des sanctions financières à Google, Margrethe Vestager, a répondu: "Il est très important que toutes les issues restent ouvertes, d'abord celle qui porte sur des engagements mais aussi l'autre, au bout de laquelle il y a une amende".
Google a désormais la possibilité de faire valoir ses arguments, a-t-elle ajouté, évoquant la possibilité d'un règlement amiable si le groupe s'engage à modifier les produits et services mis en cause.
De son côté, Google s'est déclaré en profond désaccord avec les accusations de Bruxelles, expliquant qu'il s'emploierait à démontrer que ses produits ont favorisé la concurrence et bénéficié aux consommateurs.
"Android a joué un rôle clé dans cette promotion de la concurrence et du choix, en faisant baisser les prix et en augmentant les possibilités de choix pour tout le monde", a-t-il dit à propos de son système d'exploitation, mis gratuitement à la disposition des fabricants de terminaux mobiles.
Concernant Android, Margrethe Vestager explique vouloir "faire en sorte que les marchés de ce secteur puissent prospérer sans contraintes anticoncurrentielles imposées par quelque société que ce soit".
Google, cible depuis cinq ans d'investigations des services antitrust de l'Union, est le premier moteur de recherche sur internet au monde. Quant à Android, il équipait plus des trois quarts des smartphones vendus au dernier trimestre de l'an dernier selon une étude du cabinet spécialisé IDC.
DES DÉPUTÉS EUROPÉENS RÉCLAMENT LE DÉMANTÈLEMENT DE GOOGLE
Margrethe Vestager a souligné que les services antitrust de la Commission allaient poursuivre leurs investigations dans d'autres domaines, comme les soupçons de "web scraping", la technique permettant de copier l'intégralité des données d'un site concurrent, et ceux de pratiques restrictives dans la publicité.
Le groupe américain a dix semaines pour répondre à la Commission et peut demander une audition. La décision définitive des autorités européennes pourrait prendre des mois, voire des années, sauf si les deux parties parviennent à un règlement amiable.
Même si la plupart des experts du secteur estiment que la procédure ne devrait rien changer sur le marché, l'annonce de la Commission a été saluée par le Parlement européen.
Pour le député conservateur allemand Manfred Weber, "même Google doit jouer loyalement". Quant aux élues socialistes françaises Pervenche Berès et Virginie Rozière, elles notent que la CE "agit enfin contre la position dominante de Google", parlant de "menaces" que fait peser le groupe sur l'économie européenne et réclamant son "démantèlement".
La Commission peut compter sur le soutien de nombreux pays membres, dont l'Allemagne et la France, mais aussi sur celui de nombreuses entreprises, y compris américaines, comme Microsoft ou le spécialiste du voyage en ligne Expedia.
Le dossier Google, ouvert en 2010 par Joaquin Almunia, le prédécesseur de Margrethe Vestager, a forcément un volet politique dans le contexte des négociations entre l'UE et les Etats-Unis sur le libre-échange.
En février, Barack Obama, le président américain, a accusé l'Union d'avoir adopté des positions protectionnistes face au secteur américain des hautes technologies.