"A chaque discours, à chaque sortie des candidats, il y a le nom de Blaise Compaoré qui revient" à cause de la "nostalgie" d'un temps où il y avait une "certaine tranquillité et paix", estime Mahamoudou Savadogo, spécialiste des questions de sécurité au Sahel.
Interdit d'élection en 2015, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Compaoré, présente un candidat cette année, Eddie Komboïgo, un expert-comptable à la fortune réputée colossale, présenté comme un sérieux outsider au favori, le président Roch Marc Christian Kaboré.
Sous les casquettes et stickers en vente devant le QG de Komboïgo dans le centre de Ouagadougou, on trouve vite en farfouillant des chemises à l'effigie de l'ancien président, chassé en 2014 par une insurrection populaire après 27 ans de pouvoir.
"Il est toujours là, il regarde d'un oeil attentif les affaires du pays", assure en souriant un militant du CDP.
Le "Beau Blaise", comme il était surnommé dans sa jeunesse, vit depuis six ans en exil en Côte d'Ivoire voisine, et ses partisans espèrent son retour.
Car depuis sa fuite, le démantèlement du Régiment de sécurité présidentiel, unité d'élite de l'armée qui a fomenté un pustch raté en 2015, et l'arrestation du général Gilbert Diendéré, bras droit de Compaoré et considéré comme le chef des services secrets, le Burkina n'a fait que s'enfoncer dans une crise sécuritaire sans précédent, miné par les attaques de groupes jihadistes.
"Réconciliation nationale"
Au "pays des hommes intègres", le bilan des attaques jihadistes, parfois mêlés de conflits intercommunautaires, est très lourd : 1.200 morts, dont beaucoup de civils, et un million de déplacés en cinq ans. Des pans entiers du pays ne sont plus véritablement contrôlés par l'Etat.
Alors certains Burkinabè regrettent la stabilité révolue du régime Compaoré, quitte à oublier les dérives autoritaires et la corruption -- comme leurs voisins Maliens quand ils évoquent l'ancien président autoritaire Moussa Traoré, ou les Centrafricains l'empereur Bokassa.
Le CDP a fait de cet héritage un de ses principaux arguments de campagne : "Sous Blaise Compaoré, la paix était une réalité, le bonheur était partagé", martèle Salifou Sawadogo, ancien ministre mis en cause par la justice dans le putsch manqué de 2015, et désormais candidat à la députation sous les couleurs du parti aux législatives couplées à la présidentielle dimanche.
Les partis d'opposition, dont celui de son chef de file Zéphirin Diabré, plaident quasiment tous pour un retour en grâce de l'ancien président, au nom de la "réconciliation nationale".
"La fin de son régime a été vu comme un événement qui a créé une fracture sociale et politique" au Burkina Faso, explique à l'AFP M. Diabré, un des favoris du scrutin. "Alors c'est "normal" qu'on parle autant de lui durant cette campagne, "dès lors qu'on parle de réconciliation nationale".
Le cas Compaoré
Une large majorité de la classe politique burkinabè a fait ses armes sous le régime Compaoré ; beaucoup étaient dans son camp presque jusqu'au bout, à commencer par le président Kaboré.
En meeting à Ziniaré, fief de Compaoré, à 35 kilomètres de la capitale, il a lui aussi évoqué le sort de son prédécesseur, mais avec une évidente réserve.
"Tous ceux qui sont à l'extérieur peuvent revenir au pays, ceux qui n'ont pas de problème en justice n'ont rien à craindre", a-t-il dit. Mais "il faut qu'on prépare les choses pour que tout soit clair pour tout le monde avant qu'il ne revienne dans son pays", a-t-il ajouté évoquant le cas Compaoré.
L'ex-chef d'Etat est poursuivi par la justice burkinabè pour pour "attentat à la sûreté de l’État" et "assassinat" dans le cadre de la mort du président Thomas Sankara, tué lors d'un coup d'Etat en 1987, à l'issue duquel Compaoré avait pris le pouvoir. Il est aussi poursuivi pour "homicide" dans le cadre de la répression des manifestations de 2014 ayant abouti à sa chute.
Ayant obtenu la nationalité ivoirienne, M. Compaoré ne peut pas être extradé.
Faut-il tout pardonner pour retrouver l'unité nationale qui fait défaut au Burkina Faso ? Les avis sont partagés.
"Que ceux qui doivent répondre devant la loi répondent devant la loi !", estime Mathias Zigani, 59 ans, un militant de Zéphirin Diabré.
"Quand on parle de réconciliation nationale, pourquoi on parle de justice ? Le président Kaboré peut gracier, et la vie continue", plaide de son côté Narcisse Compaoré, du mouvement pour le retour des exilés politiques au Burkina Faso.