Les décrets "sont inconstitutionnels et invalidés", indique la décision rendue par la juridiction suprême en Centrafrique, deuxième pays le plus pauvre au monde, en proie à une guerre civile depuis près de neuf ans. "La révision de la Constitution ne peut être opérée qu'après la mise en place du Sénat", qui n'est pas institué dans le pays, souligne la décision.
Les élections municipales prévues en septembre, les premières depuis 34 ans, avaient été annulées, faute de fonds pour les organiser. Les maires élus étaient censées désigner les sénateurs, empêchant la mise en place de la chambre haute.
La Cour constitutionnelle signale également que l'initiative d'un référendum de révision constitutionnelle appartient au Président, mais que celui-ci ne peut se faire en violation du serment prêté par M. Touadéra lors de son investiture.
Ce dernier avait déclaré "je jure devant Dieu et devant la nation d'observer scrupuleusement la Constitution (...) de ne jamais exercer les pouvoirs qui me sont dévolus par la Constitution à des fins personnelles ni de réviser le nombre et la durée de mon mandat", peut-on lire dans la décision.
Fin août, M. Touadéra, élu en 2016 et réélu en 2020 au terme d'un scrutin contesté par l'opposition, avait mis en place un comité chargé de rédiger un nouveau projet de Constitution. "De plus en plus de voix s'élèvent pour exiger une modification de la Constitution", avait-il affirmé.
Ce comité était composé de 53 membres "représentant tous les courants d'opinion", dont des représentants de l'Assemblée nationale, des partis politiques de la majorité, de l'opposition et de la société civile, indiquait le décret invalidé. Depuis plusieurs mois, les autorités ont organisé des manifestations en faveur d'une modification de la loi fondamentale.
Mobilisation
"Il s'agit là d'une victoire éclatante pour tous les démocrates, où qu'ils soient", a réagi vendredi Me Crépin Mboli-Goumba, principal requérant, ajoutant : "Je voudrais rendre un hommage mérité à la Cour constitutionnelle de notre pays", notamment à la présidente de cette institution qui vient de "sauver la démocratie", a-t-il déclaré.
"La Cour constitutionnelle a dit le droit et nous acceptons cette décision. Nous aurions dû la consulter en amont du projet de décret", a réagi Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du chef de l'état centrafricain joint par l'AFP. Mais "nous ne sommes pas inquiets", a-t-il dit, ajoutant: "Un coup d'Etat constitutionnel est toujours possible".
Dès publication de la décision, des appels à manifester ont été diffusés sur les réseaux sociaux et plus d'une centaine de manifestants se sont retrouvés devant la Cour constitutionnelle, notamment à l'appel de Blaise-Didacien Kossimatchi, membre de la plateforme de la Galaxie Nationale, l'une des associations qui vilipende régulièrement la France, ancienne puissance coloniale, et l'ONU.
Les manifestants ont réclamé au son des sifflets la démission des juges de la Cour constitutionnelle puis ont entonnés l'hymne national avant de se disperser rapidement.
Il s'agit d'"un revers de taille pour le président Touadera qui va devoir repenser sa stratégie pour un 3e mandat", analyse Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (IFRI), joint par l'AFP.
Vendredi matin, un important dispositif de gendarmes, de policiers et de membres de la mission de maintien de la paix de l'ONU en Centrafrique (Minusca) était disposé le long de l'avenue conduisant à la Cour constitutionnelle et seuls les journalistes et les avocats pouvaient accéder au site, a constaté une journaliste de l'AFP.
Les Casques bleus de l'ONU – 14.000 aujourd'hui chargés en priorité de protéger les civils – sont en Centrafrique depuis avril 2014. Leur déploiement visait à mettre fin à la sanglante guerre civile déclenchée en 2013 après un coup d'Etat contre le président François Bozizé.