A peine convalescent après deux ans de pandémie, le transport aérien européen craint de pâtir des effets directs et indirects de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Zones interdites, fermetures punitives d'espaces aériens, choc pétrolier et montée des peurs: le tableau s'est brutalement assombri pour un secteur qui espérait enfin sortir d'une interminable crise sanitaire qui lui a fait perdre des dizaines de milliards d'euros.
Le Covid-19 et les restrictions de déplacement qui l'ont accompagné avaient amputé de deux tiers le nombre de passagers ayant voyagé par les airs en Europe en 2020 par rapport à 2019.
En 2021, le trafic aérien européen n'a retrouvé que 44,3% du niveau d'avant-crise, mais l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) tablait pour 2022 sur une forte augmentation, autour de 70% de 2019.
Et grâce en particulier au reflux de la vague Omicron sur le Vieux Continent, l'Iata, organisation de quelque 300 compagnies aériennes réalisant plus de 80% du trafic mondial, avait récemment noté un "bond" des réservations entre fin janvier et début février, de 38% à 49% du niveau de 2019. De quoi laisser espérer aux compagnies européennes, toujours déficitaires en 2021, des lendemains meilleurs.
Mais depuis que la Russie a envahi l'Ukraine jeudi à l'aube, le paysage a changé. D'abord, avec la fermeture des espaces aériens ukrainien et moldave, puis les "notifications aux aviateurs" (NOTAM) de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) interdisant une zone plus large, incluant la Biélorussie et une bande frontalière de la Russie avec l'Ukraine.
A cela s'est ajoutée la fermeture d'espaces aériens à des fins de sanctions politiques: Londres a banni la compagnie russe Aeroflot, s'attirant immédiatement des représailles de Moscou qui a interdit le survol à tous les avions britanniques. La Pologne s'apprête à imiter le Royaume-Uni et à refuser les vols russes, selon son Premier ministre.
Les avions de l'un des géants du secteur, IAG, la maison mère de British Airways, sont désormais contraints à de longs et coûteux détours pour relier l'Europe à l'Extrême-Orient. Selon le patron d'IAG Luis Gallego, le trafic vers l'Asie reste néanmoins très faible en raison des fermetures liées au Covid-19.
Sollicitée vendredi par l'AFP, l'Iata n'a pas réagi dans l'immédiat, mais elle s'était élevée en 2021 contre l'idée de "politiser la sécurité aérienne" lors de la crise née de l'interception par Minsk d'un avion de Ryanair pour arrêter un opposant au régime bélarusse.
Par mesure de sécurité pour leurs équipages, Air France et KLM ne leur font plus passer la nuit en Russie, et la compagnie française a ainsi réduit de 12 à sept ses rotations hebdomadaires vers Moscou.
Affaiblies par la crise
L'invasion russe a aussi provoqué une forte hausse des cours du pétrole, un fardeau pour les compagnies qui y consacrent habituellement près d'un quart de leurs dépenses.
"Avec un pétrole proche de 100 dollars le baril et le risque de sanctions occidentales fortes à l'encontre de la Russie, les sociétés les plus exposées à la hausse des coûts du carburant sont les compagnies aériennes", ont prévenu les analystes financiers de Mirabaud dans une note.
Pour éviter d'être à la merci des fluctuations, les compagnies concluent habituellement des contrats leur assurant un prix fixe sur une partie de leurs achats de kérosène.
Mais "comme les compagnies s'étaient quand même affaiblies en cash pendant cette crise du virus, ça veut dire qu'elles ont moins couvert leurs achats", estime Marc Rochet, vétéran du transport aérien français et dirigeant des compagnies Air Caraïbes et French Bee.
Plus largement, les crises géopolitiques de grande ampleur étouffent la demande, remarque-t-il. Ce genre de situation "crée un peu d'attentisme général, les gens sont inquiets, même s'ils ne sont pas en première ligne, ça freine la consommation".
De fait, les cours de Bourse des compagnies aériennes ont subi une "grosse chute" après l'invasion, les opérateurs jugeant que "le nouvel optimisme des voyageurs sera sérieusement douché par la guerre en cours", ont souligné les analystes de Hargreaves Lansdown.