L'infirmière avait été contaminée par une patiente. Guérie, survivante et immunisée, Evelyne (prénom changé) a replongé volontairement dans l'enfer de la maladie. Elle serre dans ses bras un bébé de sept mois, Sarah, hospitalisée au département des cas suspects au Centre de traitement d'Ebola (CTE).
"Le premier test est négatif, on attend le résultat du second", lance l'infirmière à travers les barrières qui protègent les visiteurs du moindre contact avec les fluides corporels des malades vraiment infectés.
Infirmière, Evelyne est une "berceuse" - sorte d'assistante maternelle au chevet des enfants touchés par la maladie.
D'après le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), 30% des 690 victimes enregistrées au 3 avril sont des mineurs (les moins de 18 ans représentent quasiment la majorité de la population congolaise).
Les gamins meurent et subissent les effets collatéraux de l'épidémie. A côté du Centre de traitement, le petit Luc, cinq ans, joue au ballon avec Consolée Katsiwa, psychologue dans cette sorte de crèche gérée par l'Unicef.
La maman de Luc est morte d'Ebola la veille, raconte Consolée.
"Nous le gardons en observation, vu qu'il était en contact direct avec sa maman. Nous attendons 21 jours (ndr: le temps d'incubation du virus). S'il présentait les signes de la maladie au sein de la communauté, il risquerait de contaminer les autres", explique-t-elle.
Ce matin-là dans une école de Butembo, cinq élèves triés sur le volet prennent religieusement des notes lors d'une séance de sensibilisation en présence de leurs enseignants.
L'une des intervenantes s'appelle Huguette, une jeune femme de 24 ans qui se présente comme une survivante, guérie après avoir été contaminée lors d'un deuil au tout début janvier.
"J'aimerais sensibiliser mes frères qui sont dans la ville de Butembo, leur dire que la maladie existe, que c'est une réalité, ce n'est pas quelque chose qui a été inventé. Si on ne part pas vite au Centre de traitement, on meurt, mais si l'on y va très vite, on survit, comme moi", récite la jeune femme mise en avant par les autorités et les ONG.
- Apaiser les esprits -
Le déni de la maladie parmi une partie de ses "frères" a pris des formes violentes. Les deux centres de traitement de Butembo et de la ville voisine de Katwa ont été attaqués en février-mars. Un policier a été tué.
Les autorités ont changé de stratégie à l'occasion de la réouverture du CTE de Katwa samedi dernier.
Priorité absolue: mieux associer les habitants à la "riposte", conduite par des "étrangers" (Congolais d'autres provinces ou humanitaires d'autres pays).
Des "socio-anthropologues" ont demandé "à ce que les chefs coutumiers pratiquent des rituels d'apaisement des esprits" avant la réouverture du CTE de Katwa, indique le bulletin quotidien du ministère de la Santé.
"Des contrats de confiance ont été établis entre la communauté et les acteurs de la riposte dans les quartiers où le plus grand nombre d'agressions avaient été enregistrées", ajoute le ministère.
Les habitants ont demandé au gouvernement et aux ONG de s'investir aussi dans l'amélioration de leur condition de vie: accès à l'eau potable, réseau routier, emploi pour les jeunes...
Message bien reçu par ces dizaines de personnes, des femmes principalement, qui se pressent devant les grilles du CTE de Katwa le jour de sa réouverture.
Non, elles ne ressentent pas les premiers symptômes, fièvres, diarrhée ou vomissements hémorragiques. Certaines portent des pelles et des pioches. "Nous sommes là pour chercher le boulot pour avoir quelque chose à manger. Nous sommes des chômeurs, et nous vivons dans ce quartier, nous sommes des voisins du CTE", explique Salomé.
"Ebola fait peur mais les gens comprennent que c'est un danger et qu'il faut se protéger. Mais à part ça, il faut que les autochtones travaillent dans ce CTE pour mieux comprendre ce qu'est Ebola", insiste la jeune femme soigneusement maquillée.
A distance, la police surveille discrètement, tout comme des Casques bleus sénégalais de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) patrouillaient la veille devant le CTE de Butembo.
Faut-il militariser la lutte anti-Ebola face au déni? "Sujet sensible", soupire un humanitaire. Via leur "contrat de confiance" avec les habitants, les équipes ont "accepté de réduire l'utilisation des forces de l'ordre pour sécuriser" leurs déplacements.
La lutte contre Ebola peut encore prendre six mois, estime l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).