"Certains disaient que j'avais raté ma vie, qu'il fallait 'faire docteur, faire autre chose' ", raconte à propos de ses débuts le peintre ivoirien Aboudia, qui signe une exposition intitulée "Mogo Dynasty" à la fondation Fakhoury d'Abidjan.
A cette époque, Aboudia était encore Abdoulaye Diarrasouba, et il s'exprimait volontiers en nouchi, l'argot des quartiers populaires ivoiriens.
Aujourd'hui reconnu sur le marché mondial et habitué aux galeries parisiennes, londoniennes ou new-yorkaises, Aboudia ne renie pas son passé même s'il délaisse souvent ses chevalets abidjanais pour des tablettes d'avion et l'atmosphère mondaine des vernissages.
"Je reste de culture nouchi. Mogo en nouchi, c'est le gars, les gens", rappelle-t-il devant ses toiles, parfois en noir et blanc, parfois colorées, avec des têtes d'hommes aux dents omniprésentes, entre crânes et robots.
"Mes tableaux, c'est l'Afrique d'aujourd'hui", dit-il devant "La mort du roi". "Ici, on tente de donner un médicament au roi... C'est aussi ça l'Afrique, il y a la tradition, les gens qui luttent pour vivre. J'ai voulu raconter ça, les Mogos."
Tout en affirmant son identité africaine, Aboudia refuse l'étiquette. "Je me considère comme un artiste. Un artiste qui vient de l'Afrique. Les gens classent, il y a les 'artistes africains', 'artistes européens'... Mais si vous voyez mon travail en Chine ou au Japon, vous ne saurez pas si [l'auteur est ou non] un Africain."
Crise ivoirienne et chaos ambiant
Aboudia souligne toutefois qu'il est probablement plus difficile pour un Africain de percer: "C'est dur partout, mais (...) la majorité des Africains n'ont pas cette culture. Certains comprennent, mais ce n'est pas comme ailleurs, où c'est tout de suite (bien) accueilli. Ici, il faut vraiment se battre, faire comprendre aux gens..."
"Très jeune", dès l'école primaire avec des dessins à la craie, Aboudia a senti qu'il "avait du talent pour le dessin". Mais il a commencé par "taper un peu dans le ballon et faire du théâtre scolaire", explique-t-il. "Ça, je savais au moins ce que c'était..."
"C'est en grandissant et en arrivant au collège que j'ai appris qu'il y avait une école pour le dessin, pour l'art", dit le peintre.
Il a alors cherché à côtoyer les élèves de l'école conservatoire régionale: "Je m'habillais à la maison comme pour aller au collège, mais je passais en fait toute la journée avec eux à regarder" ce qu'ils dessinaient et peignaient.
Un jour, il leur a demandé s'il pouvait suivre leurs cours. "Ils ont vu ce que je faisais et ont dit 'Pourquoi ne pas essayer? Tu peux être un artiste plus tard' ", se souvient Aboudia.
Après un passage au conservatoire régional des Arts et métiers d'Abengourou et au centre technique des arts appliqués de Bingerville, il rejoint l'INSAC d'Abidjan (Institut National Supérieur des Arts et de l'Action Culturelle).
Puis il connaît la renommée très jeune, pendant la crise ivoirienne qui a fait des milliers de morts, avec des oeuvres qui reflètent le chaos ambiant.
On le compare alors souvent à Basquiat, pour sa précocité, mais aussi au niveau formel. "Ça ne me gêne pas. On me le dit souvent. A l'époque, je ne connaissais pas. J'aime beaucoup, c'est un grand artiste. Mais moi, je suis Aboudia", dit-il.
Aujourd'hui, l'artiste a élargi sa palette avec des montages et notamment une tapisserie murale faite d'éléments de la vie de tous les jours : "Habits, chaussures, poupées, nounours... C'est tout cet ensemble, qui vient de l'être humain et des enfants, que j'ai pris pour faire une composition. Les gens, je les déshabille, je prends leurs habits et j'en fais une autre toile."
"Je compte en faire plus, et même des grands tableaux... Moi, ma définition de l'art, c'est la recherche de nouvelles sensations."
Avec AFP