C'est confirmé, 2016 sera l'année d'une bataille inédite sur la colline du Capitole, opposant les sénateurs républicains jusqu'au-boutistes au président démocrate Barack Obama, avec pour trophée la nomination du futur juge arbitre de la Cour suprême.
Dans ce combat qui s'annonce épique, les belligérants ont pris position cette semaine, les élus majoritaires cimentant mardi au Congrès leur bloc du refus catégorique, le chef de la Maison Blanche promettant lui un remplaçant au magistrat conservateur Antonin Scalia récemment décédé.
Selon la Constitution américaine, le président nomme à vie les neuf magistrats de la plus haute instance judiciaire, le Sénat approuvant ou non ce choix.
Les sénateurs républicains, revendiquant la légitimité populaire qu'aurait perdue M. Obama usé par ses deux mandats, soutiennent que la nomination ultra-sensible doit revenir à son successeur, qui sera élu le 8 novembre.
Assurant au contraire qu'il en va de son "devoir", le président des Etats-Unis entend nommer "dans les semaines à venir" un juge et consulte tous azimuts dans cet objectif.
De façon radicale, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a annoncé que l'assemblée irait jusqu'à refuser d'entendre tout candidat d'Obama, quelles que soient ses qualités.
Pourquoi une telle intransigeance ? La Cour suprême, institution qui tranche souvent les grands débats de société aux Etats-Unis, compte désormais quatre juges conservateurs et quatre juges progressistes. Elle penchera donc du côté du successeur de M. Scalia. La droite américaine redoute que celui-ci se révèle être un progressiste.
"Canard boiteux"
Les principaux candidats républicains à la présidentielle, Donald Trump, Ted Cruz et Marco Rubio, invoquent une "tradition" de ne pas nommer un juge à la Cour suprême lors de l'année électorale précédant le départ d'un président, même si l'Histoire offre quelques contre-exemples.
M. Rubio a même qualifié M. Obama de "canard boiteux" (lame-duck president), une expression désignant un leader en fin de mandat, censé expédier les affaires courantes.
Une "notion incorrecte", selon Melissa Hart, professeur à l'université de Boulder dans le Colorado. "Un canard boiteux est un président dont le successeur a déjà été élu. Le successeur du président Obama ne sera pas élu avant neuf mois".
Face au risque d'obstruction à outrance des sénateurs républicains, que peut donc faire M. Obama ?
Le président peut d'abord espérer fissurer le front du "non à tout" au Sénat, qui passe mal chez les élus modérés du Grand Old Party et leurs électeurs.
"En refusant d'examiner tout candidat du président Obama durant tout le reste de son mandat, le Sénat dépasse ses attributions constitutionnelles", souligne Edward Fallone, professeur de droit à l'université Marquette dans l'Etat du Wisconsin.
"Le Sénat exerce un pouvoir de pré-nomination quand la Constitution lui donne un pouvoir de post-nomination", ajoute-t-il.
"Suggérer qu'un président devrait cesser d'accomplir ses devoirs constitutionnels la dernière année de son mandat est irresponsable", abonde Mme Hart. "Tout comme est irresponsable un sénateur qui refuse d'accomplir ses devoirs constitutionnels".
Le candidat d'Obama : un républicain ?
Dans cette partie de billard à trois bandes entre législatif, exécutif et judiciaire, Barack Obama va ensuite vraisemblablement désigner quelqu'un n'offrant aucune prise aux critiques, pour essayer de désarmer ses opposants.
"La personne que je nommerai sera éminemment qualifiée. Lui ou elle aura un esprit indépendant, un intellect rigoureux, avec des références impeccables, une excellence et une intégrité rompues à l'épreuve des faits", a écrit le président mercredi.
Depuis une douzaine de jours divers noms circulent, parmi lesquels celui de la ministre de la Justice Loretta Lynch, première femme noire à occuper ce poste, ou encore Jeh Johnson, chargé de la Sécurité intérieure.
D'autres personnalités moins connues semblent également tenir la corde, comme Sri Srinivasan, un magistrat d'origine indienne aux états de service irréprochables. Le juriste Jeffrey Toobin, auteur de l'ouvrage de référence "The Nine" sur la Cour suprême, a qualifié de "candidat naturel" ce brillant juriste.
Sa carrière, largement passée à plaider dans un cabinet d'avocats privé, n'offre pratiquement aucun angle d'attaque aux républicains et sa promotion à la cour d'appel de la capitale fédérale avait été unanimement approuvée par les élus des deux partis.
Le chef de l'opposition démocrate au Sénat, Harry Reid, a lui suggéré comme neuvième juge à la Cour suprême Brian Sandoval, l'actuel gouverneur du Nevada et membre du parti... républicain.
Si cet élu hispanique était effectivement nommé par M. Obama, les sénateurs républicains se retrouvaient acculés dans leurs retranchements, à devoir justifier le refus d'un de leurs pairs.
AFP