Quelques cabanes faites de branches et de feuilles se fondent dans le paysage semi-aride typique du nord du Cameroun. Assis sur un tapis à l'ombre d'un grand arbre dans ce camp de déplacés, une vingtaine d'hommes discutent.
A quelques mètres, sous le soleil brûlant de cette région sahélienne, des femmes font la cuisine avec le peu d'ingrédients qu'elles trouvent, assises sur de petites pierres. Autour, les enfants s'amusent.
Combien de temps vont-ils rester ici, ces 4.000 déplacés arabes du camp de Bogo ? Victimes collatérales de conflits entre pêcheurs et bergers près de Kousséri, à une centaine de kilomètres du lac Tchad, ils ont fui le département du Logone-et-Chari, comme près de 100.000 personnes ces six derniers mois.
En août, puis en décembre, des affrontements entre éleveurs arabes choas et pêcheurs mousgoums ont fait au moins 67 morts et des centaines de blessés en raison des tensions ancestrales autour des ressources halieutiques et agricoles amplifiées par le phénomène de réchauffement climatique.
Des milliers de personnes ont trouvé refuge au Tchad voisin, et près de Maroua, le chef-lieu de la région de l'Extrême-Nord. Elles ont tout perdu: maisons, bétail, ressources... Et redoutent de retourner chez elles de peur de nouvelles violences.
"Envahisseurs"
"Nous préférons rester ici que d'y retourner. Nous n'avons plus rien. Ici, on nous tolère. Là bas, les Mousgoums nous considèrent comme des envahisseurs", soupire Mahamat Sale, 60 ans, un Arabe chef d'une communauté villageoise qui a pris la route à pied jusqu'au département de Diamaré, à quelque 175 km du lieu des affrontements.
"Historiquement, les Mousgoums sont les autochtones et les Arabes sont des éleveurs nomades, considérés comme des personnes qui viennent occuper le territoire par effraction", explique le professeur Armel Sambo, historien à l'université de Maroua.
Dans un village près de Kousséri, épicentre du conflit, Mahamat Djidda Mahamat, 20 ans, un Mousgoum joint au téléphone par l'AFP, assure que la situation s'est calmée mais ajoute qu'il évite les Arabes.
"Je ne sais pas si c’est fini. J'ai perdu mon père, ma maison, des proches... Je veux juste vivre en paix", déclare-t-il.
"La situation est sous contrôle. Les gens sont en train de rentrer chez eux. On a sécurisé la zone", affirme de son côté le gouverneur de l’Extrême-Nord, Bakari Midjiyawa.
L'origine des affrontements cette fois est une conséquence indirecte du réchauffement climatique. Dans cette région aride, les pêcheurs ont creusé des piscines pour capter l'eau et retenir les poissons. Mais sur la même terre, le bétail des éleveurs arabes avait soif, cherchait des points d'eau et était pris au piège dans ces trous. Ils ont demandé aux Mousgoums de les reboucher. Les tensions se sont accrues, entraînant un déchaînement de violences de part et d'autre.
Raréfaction des ressources
Car le lac Tchad s’assèche rapidement. Cette vaste étendue d'eau peu profonde et de marécages, qui étend ses rives dans quatre pays, le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Nigeria, a perdu plus de 90% de sa surface en 55 ans.
Sa disparition complète, hypothèse jugée crédible par les experts, pourrait priver des millions de personnes de l'eau nécessaire pour survivre grâce à la pêche, l'agriculture, l'élevage et le commerce, et accroît les tensions dans les quatre pays.
Le bassin du lac Tchad et ses innombrables îlots est aussi devenu le principal repaire des combattants jihadistes de Boko Haram et de sa branche dissidente du groupe Etat islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap), bien que la zone de Kousséri soit pour l'heure épargnée par leurs attaques.
"Les effets du réchauffement climatique et les problèmes d'accès à l'eau ont catalysé les tensions. Maintenant, il faut mettre tous les acteurs autour de la table pour trouver les racines du problème et mettre en place des solutions d'adaptation", estime Xavier Bourgois, porte-parole du HCR, l'agence des Nations unies pour les réfugiés.
"Les conflits sont liés à une conjonction de facteurs. La croissance démographique conjuguée à la raréfaction des ressources rend la situation très tendue et les affrontements risquent de se multiplier", renchérit le professeur Sambo, qui précise que "quand la situation économique se détériore, les gens se replient sur leur ethnie, la religion et les questions identitaires".
"Des efforts sont faits mais ne sont pas suffisants. Il faudrait délimiter les pistes de transhumance, créer des points d'eau artificiels pour chaque communauté et contrôler la bonne application de ces mesures. Le gouvernement doit s’impliquer davantage, assurer la sécurité des mouvements des personnes dans cette région et favoriser la médiation des chefs traditionnels", conclut-il.