Dans cette banlieue pauvre du Cap, à quelques kilomètres à peine du centre touristique de la deuxième ville d'Afrique du Sud, le crime règne en maître absolu. Au point que les autorités locales réclament l'intervention de l'armée pour ramener l'ordre.
"On ne peut rien faire, si ce n'est éviter de sortir", constate, amer, Keenan Willemse, 71 ans, sur le pas de sa maison de tôles et ciment. "Lorsque les fusillades éclatent, on se cache chez nous (...). On est prisonniers dans nos propres maisons. Ce qu'il se passe dans nos rues est vraiment terrible".
Selon la presse locale, au moins 50 personnes ont été tuées en quatre mois dans les rues des tristement célèbres Cape Flats, un entrelacs de townships à l'est de l'agglomération du Cap peuplés de métis. La plupart sont des victimes collatérales de règlements de comptes entre bandes criminelles rivales.
Dans le seul township de Manenberg, où les détritus s'accumulent sur les trottoirs, un vieil homme a été abattu en octobre alors qu'il était sorti chercher son chèque mensuel d'aide sociale. Quelques jours plus tard, une mère de famille a été tuée par une balle perdue devant la porte de son domicile.
- 'De plus en plus jeunes' -
Selon les dernières statistiques annuelles, près de 20% des meurtres recensés dans la province du Cap sont directement liés à l'activité des gangs qui se disputent le territoire des Cape Flats, notamment pour y contrôler le marché de la drogue.
La police s'est jusque-là avérée incapable d'imposer son autorité sur ces quartiers. Contactée à de multiples reprises par l'AFP, elle n'a pas souhaité réagir aux critiques.
Les criminels "sont bien plus malins que la police, bien mieux organisés", remarque Faldiela de Vries, cofondatrice d'une association de quartier à Manenberg. "Mais le plus effrayant, c'est que les membres de ces gangs sont de plus en plus jeunes. Dans les années 1980, ils étaient plus mûrs, ils avaient dans les 30 ou 40 ans. Maintenant, ils recrutent des enfants".
Les effectifs de ces bandes sont évalués à plus de 100.000 dans la province du Cap-Occidental.
Dans les Cape Flats, des dizaines de gangs se livrent bataille. Ils s'appellent les Sexy Boys, les Dixie Boys, les Clever Kids, ou simplement "les 26"ou "les 28".
Territoire des Hard Livings et des Americans, Manenberg est considéré comme l'un des champs de bataille les plus meurtriers de cette guerre des gangs.
Mais le conflit s'étend de plus en plus au reste de la ville du Cap.
En octobre, un chef de gang a été assassiné de quatre balles tirées à bout portant devant le terminal de l'aéroport international du Cap, devant des dizaines de passagers. D'autres exécutions ont eu lieu devant des boîtes de nuit du centre-ville.
Première ministre d'opposition de la province du Cap-Occidental, Helen Zille s'inquiète de ces débordements et accuse le gouvernement de ne pas prêter "l'attention nécessaire" à la situation des Cape Flats.
- L'armée à la rescousse -
Seule une intervention de l'armée serait désormais en mesure d'y ramener le calme, affirme-t-elle. "Ce qui m'inquiète le plus dans cette culture de gangstérisme et de violence, c'est ce flot qui semble intarissable d'armes et de substances illicites".
Le président Jacob Zuma a promis une réponse à sa requête. L'armée était intervenue dans les Cape Flats il y a deux ans et demi, dans la foulée, déjà, d'une autre vague de crimes.
Mais les habitants des townships de Manenberg, Bishop Lavis, Hannover Park, Mitchells Plain ou Elsies River doutent de l'efficacité à long terme d'un recours aux militaires, tant la culture de la violence y semble enracinée.
Les efforts des communautés elles-mêmes pour éradiquer ce cancer apparaissent vains.
En 1996, l'assassinat du chef du gang des Hard Livings, Rashaad Staggie, avait mis le feu aux rues de Manenberg et convaincu certains de ses habitants de prendre en main leur propre sécurité. Mais leur initiative, baptisée le Peuple contre le gangstérisme et les drogues (Pagad), a fait long feu et a rapidement été abandonnée, accusée de rendre une justice expéditive.
Pour le criminologue Don Pinnock, le mal trouve sa racine dans les inégalités économiques et sociales héritées du régime d'apartheid qui a pris fin en 1994.
"Ces gangs sont redoutés mais aussi admirés par des jeunes en situation d'instabilité et privés de toute espérance sociale", estime ce chercheur de l'université du Cap. "Tant qu'il y aura un problème de pauvreté et des armes et de la drogue en circulation, cette criminalité sera difficile à éradiquer".
Avec AFP