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De la vente à la prière, l'étonnante conversion des boutiques de Luanda


Luanda, Angola
Luanda, Angola

C'est l'un des effets inattendus de la sévère crise économique qui frappe l'Angola depuis deux ans: à Luanda, de nombreux petits magasins contraints de fermer faute d'approvisionnement ont cédé la place à des églises qui, elles, font le plein de fidèles.

Dans les rues de la capitale angolaise, on les connaît sous leur surnom de "vendeurs Mamadou". Maliens, Sénégalais, Nigérians ou encore Guinéens, pour la plupart de confession musulmane, ces marchands ont débarqué dans Luanda à la faveur du boom pétrolier et y ont ouvert des centaines de petites échoppes.

Mais depuis 2014, la chute des cours du pétrole, principale ressource du pays, a signé la fin de cet âge d'or. En un an, la monnaie locale, le kwanza, a perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar et nourri en retour une forte hausse des prix des marchandises importées, plongeant la corporation des "Mamadou" dans une profonde récession.

"Comme c'est très cher, nous ne vendons plus. L'entreprise est en panne", déplore Ibrahim Barry, un épicier du quartier de Palanca, originaire de Guinée Conakry.

Son collègue malien Sidi Souleymane en a déjà tiré les conséquences. Il a quitté la capitale et ses tours de verre et d'acier symboles d'une prospérité révolue pour ouvrir une épicerie, cette fois dans le nord du pays.

"J'ai fermé le magasin parce que mon loyer est passé de 250 à 350 dollars par mois (...). Il est devenu impossible de faire des affaires à Luanda", rouspète-t-il.

- 'D'abord prier' -

Comme celui de Sidi Souleymane, de nombreux autres magasins, tenus par des immigrés ou des Angolais, ont été contraints de tirer définitivement leur rideau de fer.

Pour les remplacer, les propriétaires de ces boutiques louent celles-ci à un autre type de commerce, celui des âmes, les proposant aux nombreuses églises évangélistes en quête désespérée de locaux pour accueillir leurs ouailles.

Jadis temples de la consommation, ces boutiques sont ainsi devenues des lieux de prières.

"Nous n'avons pas d'argent pour construire des églises, nous avons donc profité de ces espaces libres", se réjouit le pasteur pentecôtiste congolais Jérémias Roger, qui officie dans un entrepôt autrefois rempli de sacs de riz et de bidons d'huile.

"Le pays traverse des moments difficiles à cause de la crise, mais cette crise ne saurait affecter l'Esprit sain", professe-t-il.

"Où va l'Angola ?", soupire lui, inconsolable, l'ancien locataire des lieux, Joaquin Barbosa.

- Colocations iconoclastes -

Aujourd'hui, les églises dites du "réveil" ont envahi les rues de nombreux quartiers de Luanda.

Nées de la misère, de la répression politique ou des tensions ethniques, les églises évangéliques, du "réveil" ou de la "guérison" fleurissent depuis des années sur l'ensemble du continent africain.

Sous couvert d'évangélisation, d'alphabétisation ou d'action sociale, leurs pasteurs, "ministres" et gourous autoproclamés en profitent souvent pour se remplir les poches en abusant de la crédulité de leurs ouailles, à grands coups de remèdes miracle ou de promesses d'enrichissement.

L'Angola n'a pas échappé au phénomène et son gouvernement a tenté, comme d'autres, d'en limiter les dérives. Depuis 2012, il impose à tous les cultes de justifier d'au moins 10.000 adhérents dûment enregistrés pour leur accorder pignon sur rue.

Mais la nouvelle loi n'est pas parvenue à enrayer l'essor de ces églises -- si moins d'une centaine ont été officiellement reconnues à ce jour par les autorités de Luanda, il en existe plus d'un millier au total en Angola, plus ou moins clandestines, selon les autorités.

Tout au plus cette loi a-t-elle encouragé leur discrétion. Pour se fondre dans la masse, certaines de ces églises n'hésitent pas à recourir à des "colocations" pour le moins iconoclastes.

Il en est ainsi de "l'Eglise chrétienne du Salut", qui célèbre dimanche et lundi ses offices dans ce qui est le reste de la semaine un bar-discothèque, le Salao de festas Zita.

- Pagaille -

Cette cohabitation ne semble pas gêner outre mesure son prophète autoproclamé, Manuel Jeovani. "Notre mission est la propagation de la parole de Dieu, quel que soit le lieu", assure-t-il. "Et si en plus nous pouvons rétribuer de façon symbolique le propriétaire des lieux, tant mieux".

"Le refus de l'Etat de mettre à notre disposition des terrains génère toutes sortes de situations comme celle-ci", se plaint en revanche le pasteur Gabriel Baptiste, de l'église pentecôtiste du "Pain de vie". "Mais nous allons continuer", assure-t-il, "l'important c'est la parole de Dieu, même prêchée dans un magasin".

La pagaille suscitée par cette effervescence religieuse commence toutefois à agacer les riverains.

"Ils font tellement de bruit qu'on ne peut plus dormir en paix", râle Ana Marta, 52 ans, une résidente du quartier de Palanca, "ils nous embêtent avec leur musique dès 5h du matin!"

Soumis aux pénuries de produits alimentaires et à la valse des étiquettes, les habitants de plusieurs quartiers de Luanda sont désormais privés de leurs commerces de proximité. Et priés d'aller faire leurs courses ailleurs.

"On est obligé d'aller dans les supermarchés, où les prix ne sont pas les meilleurs. Nous avons beaucoup perdu", se plaint une habitante de Palanca, Marisa Dos Santos.

Et ce n'est que le début, dit-elle. A quelques centaines mètres de son domicile, le collège Bondo Adelina a récemment fermé ses portes. Il a été aussitôt remplacé par une église.

Avec AFP

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