"Je ne pouvais imaginer que la police européenne puisse être si violente", dit Najim Khan, maçon pakistanais de 21 ans, rencontré dans un parc de Belgrade. Ils sont 8.000 piégés en Serbie par la fermeture en mars 2016 des frontières de l'Union européenne, et la coupure de la "route des Balkans".
Mis en cause par les migrants et les ONG, les gouvernements croate, bulgare et hongrois réfutent ces accusations. Assurant n'avoir "aucune preuve" de dérapages, Zagreb a promis des sanctions s'ils étaient avérés. Budapest dit traiter "les migrants humainement et avec respect pour leur dignité humaine". Sofia explique avoir vérifié "tous les cas rapportés", "jamais ils n'ont été confirmés".
Najim Khan est passé par la Bulgarie. Il y a quelques semaines, un soir, la police a fait irruption dans son squat de Sofia, dit-il. "Ils nous ont battus, nous ont amenés dans un commissariat, puis dans un centre fermé. Sur les trajets, ils nous battaient encore", assure-t-il.
Passé en Serbie, il pense entrer dans l'UE une nuit de fin février, malgré une sécurité renforcée à la frontière avec la Hongrie. Son groupe est repéré par des policiers hongrois. "Ils nous ont mis à plat ventre, en ligne. Ils nous couraient sur le dos en riant", "ils jetaient de la bière aux visages", affirme le jeune homme. "Ils ont pris nos portables, les ont cassés. Ils ne nous ont pas pris notre argent", poursuit-il.
Médecins sans frontière (MSF) a dénoncé début mars "quelque chose de systématique, d'organisé, de routinier", "un rituel de brutalité (...), conçu pour empêcher les personnes de tenter à nouveau leur chance".
"La militarisation des frontières de l'Union européenne a entraîné un accroissement choquant de la violence" et "plus de la moitié de nos patients ont eu à subir des épisodes de violence durant leur voyage", dit Andrea Contenta, de MSF à Belgrade, où l'ONG a installé une clinique.
"Les migrants se plaignent surtout de violences subies en Hongrie où ils ont été mordus par des chiens, violemment frappés, avec pour conséquence des fractures. Récemment, ils se sont également plaints du comportement de la police croate", renchérit Rados Djurovic du Centre pour l'aide aux demandeurs d'asile en Serbie. Dans ce pays, la situation semble meilleure, la police ayant reçu des consignes, explique un humanitaire.
"Si les passeurs ont une part de responsabilité (...), les accusations de la grande majorité de nos patients concernent une violence commise par des autorités, principalement d'Etats membres de l'UE comme la Hongrie, la Bulgarie et la Croatie", selon Andrea Contenta.
Attal Shafihullah, garçon fluet de 16 ans, explique avoir subi les deux. Un soir qu'il avait échoué avec trois compagnons à passer la frontière serbe, des policiers bulgares les interceptent. "Parfois, ils vous laissent partir. D'autres non". Cette fois, ils sont frappés, dit-il. "Peut-être qu'ils voulaient de l'argent", suppose le garçon.
La motivation financière est, à ses yeux, certaine dans les coups portés cette fois par des passeurs quelques semaines plus tard: ils voulaient se faire transférer des fonds et "montrer que c'est une affaire sérieuse", raconte le jeune homme au visage défiguré, séquelles de brûlures lors de l'incendie de sa maison en Afghanistan.
Rencontré dans un centre d'accueil de Belgrade, Qayum Mohammadi, Afghan joufflu de 14 ans à la moustache naissante, se souvient avoir vomi quand il a été aspergé de gaz lacrymogène dans un bus de migrants qui avait achevé sa course contre un mur après avoir été pris en chasse par une patrouille bulgare. Lui aussi raconte avoir été mis sur le ventre par la police hongroise, plus tard: "Ils m'ont demandé de mettre mes mains au sol et ont marché dessus", "ils m'ont frappé les cuisses avec une matraque".
La fermeture des frontières accroît les risques sur une "route des Balkans" plus dangereuse car clandestine. Selon Andrea Contenta, MSF a, depuis septembre 2016, recensé plus de 70 décès entre la Grèce et la Hongrie. Des hypothermies, des noyades, des accidents de la circulation. Mais aussi des suicides.
Avec AFP