Le 14 janvier 2011, après un mois de manifestations réprimées dans le sang, l'homme qui tenait la Tunisie d'une main de fer depuis 23 ans prenait la fuite vers l'Arabie saoudite à la surprise générale, provoquant une onde de choc dans le monde arabe.
Le matin-même, des manifestants avaient bravé la peur pour crier "Dégage" au dictateur sur l'avenue Bourguiba, non loin du redouté ministère de l'Intérieur, dans le centre de Tunis.
C'est cette avenue symbolique qu'une foule aux revendications diverses a arpentée jeudi dans une ambiance largement festive mais en groupes séparés. En famille ou entre amis, beaucoup ont agité des drapeaux tunisiens sous l'oeil des nombreux policiers déployés, le pays étant devenu une cible majeure des jihadistes.
Une cérémonie en présence de quelques centaines d'invités s'est également tenue au palais présidentiel de Carthage, dans la banlieue de Tunis.
- 'Un peu de démocratie' -
"A moi personnellement, la révolution n'a rien apporté: les prix ont augmenté, beaucoup de jeunes restent marginalisés. Mais je suis quand même descendue en signe de célébration parce que la révolution nous a apporté un peu de démocratie et c'est important", a déclaré à l'AFP Latifa, une couturière de 40 ans.
Plusieurs formations politiques comme le Front populaire, une coalition de gauche, et les islamistes radicaux de Hizb ut Tahrir ont manifesté. Le parti islamiste Ennahda a organisé un concert.
Des diplômés chômeurs ont saisi l'occasion pour réclamer des emplois, alors que des blessés de la révolution et des proches de victimes ont scandé "Fidèles au sang des martyrs".
"Il faut que justice soit rendue aux martyrs. Il faut que les responsables de leur mort rendent des comptes", a dit à l'AFP Latifa Ayari, 67 ans.
En silence, un groupe a brandi des photos de Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, des journalistes disparus en Libye, qu'une branche du groupe Etat islamique (EI) a affirmé avoir tués.
Une poignée de manifestants a aussi défilé en arborant un drapeau arc-en-ciel pour réclamer la dépénalisation de l'homosexualité.
Cinq ans après la chute de Ben Ali, les Tunisiens peuvent s'exprimer librement, l'un des principaux acquis de la révolution.
Cet anniversaire est toutefois assombri par une situation morose, le chômage, la pauvreté et l'exclusion sociale restant prégnants. Ces maux avaient largement motivé la révolution déclenchée par l'immolation d'un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid (centre-ouest).
Depuis 2011, le pays a été plusieurs fois frappé par de sanglants attentats jihadistes et vit aujourd'hui sous état d'urgence. Des dizaines de policiers, de militaires et de touristes étrangers ont été tués ces dernières années.
- Bilan mitigé -
"Le bilan de la révolution de la liberté, de la dignité et du droit au travail reste globalement mitigé", a estimé Le Quotidien.
Dans un communiqué, Amnesty International s'est inquiétée du retour d'une "répression brutale", dans le cadre notamment de la lutte antiterroriste. L'ONG a dénoncé l'existence de décès suspects en garde à vue ou encore l'absence de réformes profondes.
"Quoi qu'il en soit, nous marquons aujourd'hui un évènement fondateur pour (...) l'avenir de la Tunisie", a jugé le quotidien Al Maghreb.
Le pays fait figure de rescapé face à la tourmente dans laquelle sont plongés les autres pays du Printemps arabe, comme la Syrie déchirée par la guerre et la Libye en plein chaos.
La Tunisie a organisé en 2011 et 2014 des élections libres unanimement saluées comme transparentes, adopté une nouvelle Constitution et reçu le Nobel de la paix 2015 par le biais d'un quartette ayant organisé un dialogue entre partis politiques alors à couteaux tirés.
"Nous sommes fiers de l'exception tunisienne qui a ébloui le monde. La Tunisie a rompu sans retour possible avec l'autoritarisme et la tyrannie", a affirmé le Premier ministre Habib Essid dans un communiqué.
"Nous travaillons ensemble pour concrétiser les diverses demandes de la révolution, en particulier la garantie d'une vie digne pour tous", a-t-il ajouté, tout en précisant que "remporter la guerre contre le terrorisme restait une condition essentielle" pour pouvoir se consacrer au développement.
Avec AFP