Cette exposition "n'a pas été facile à organiser: aujourd'hui, nous pouvons dire que l'Etat a gagné", s'est félicité l'adjoint au maire en charge de la culture et de la légalité de cette ville de l'extrême sud de la Botte, face à la Sicile, Edoardo Lamberti Castronuovo.
Béni samedi par l'archevêque de Reggio de Calabre en présence des autorités civiles, militaires et judiciaires de la province, le palazzo della Cultura abrite désormais la collection "De l'ombre à la lumière": deux tableaux de Dalì, un de De Chirico, deux Ligabue, un Pirandello et un Fontana, entre autres.
Jusqu'en 2010, ces tableaux, ainsi que d'autres oeuvres de peintres italiens contemporains, appartenaient à Gioacchino Campolo, surnommé le "roi des vidéopokers", aujourd'hui aux arrêts domiciliaires en attente d'une décision judiciaire définitive après une condamnation à 16 ans de prison pour association de malfaiteurs et extorsion.
Agé de 77 ans, cet homme a fait fortune dans les machines à sous, que l'on trouve partout en Italie, et qu'il avait préalablement truquées.
"Son patrimoine était de 320 millions d'euros. Il possédait des maisons à Paris, Rome et presque la totalité de Reggio de Calabre", explique à l'AFP M. Lamberti Castronuovo.
L'arnaqueur arnaqué
Afin de blanchir son argent, ce boss de la 'Ndrangheta, la mafia calabraise, a acheté des tableaux pour une valeur totale de 2 millions d'euros parce qu'il se targuait d'être un collectionneur d'art, souligne l'administrateur judiciaire mandaté par le tribunal local pour gérer ces biens, Alessandro Calabrò.
Mais le vieil homme ne devait pas posséder un goût très sûr: 22 tableaux se sont révélés être des faux !
Pour M. Lamberti Castronuovo, "la valeur économique de ces oeuvres est certes importante mais leur valeur éthique l'est encore plus".
"On peut dire qu'on les a pris à des gens qui nous prennent tout, et ce qu'on leur a confisqué, on ne le met pas sous clef, comme eux l'ont fait, mais on le met à disposition des gens, pour le bien commun: ça, c'est agir contre la mafia !", s'est-il exclamé avant de couper le ruban d'inauguration du Palazzo.
"Aujourd'hui, nous rendons aux citoyens de cette ville ces oeuvres d'art, qui ne seront plus le fruit des larmes et du sang mais un patrimoine collectif", renchérit le jeune maire (centre gauche) de Reggio de Calabre, Giuseppe Falcomatà, avocat de formation.
Plus qu'une "page d'histoire" écrite, le directeur de l'Agence nationale pour la gestion des biens confisqués à la mafia (ANSBC), Umberto Postiglione, veut voir dans cette exposition permanente "la création d'une autre culture, celle de la légalité perceptible, concrète".
Conséquence d'années de lutte contre Cosa Nostra en Sicile, la Camorra à Naples ou la 'Ndranghetta, l'Etat italien est aujourd'hui à la tête de quelque 3.000 entreprises et propriétaire de plus de 12.000 biens immobiliers, et gère aussi un pactole de plus de deux milliards d'euros de dépôts bancaires et de biens mobiliers.
Née il y a 40 ans dans la tête du dirigeant du parti communiste italien Pio La Torre, un Sicilien assassiné en 1982, l'idée de frapper la "malavita" au portefeuille est considérée comme l'une des principales armes dans la lutte contre la mafia, les chefs de clans craignant davantage la saisie de leurs biens que la prison, d'où la plupart continuent à gérer leurs affaires.
"Ce monsieur, en collectionnant ces tableaux, a travaillé pour nous, affirme à l'AFP M. Lamberti Castronuovo: c'est paradoxal mais c'est tant mieux!"
Avec AFP