En plus de deux ans, "la Commission du Dialogue national" (ENDC) aura essentiellement sélectionné jusqu'ici les délégués des 12 Etats régionaux et des deux villes "fédérales" - Addis Abeba et Dire Dawa.
Le 29 mai, elle a enfin lancé dans la capitale les premières discussions, la phase de "collecte des ordres du jour", les sujets que chacune des régions souhaite voir abordés lors du futur "dialogue" au calendrier toujours inconnu. L'exercice s'est terminé le 4 juin à Addis et va maintenant se répéter dans chaque région.
Pour Mohamoud Dirir, membre de la Commission, ce démarrage est un "jalon décisif" pour le pays de 120 millions d'habitants, mosaïque de quelque 80 communautés ethno-linguistiques, déchiré par de nombreux conflits aux ressorts divers. "Il est temps d'avoir un véritable dialogue qui ne laisse de côté aucun groupe social, parti politique, groupe armé ou autre protagoniste", estime-t-il.
Problème: manqueront à l'appel la véritable opposition politique et les principaux acteurs armés. Seize partis, dont l'hégémonique Parti de la Prospérité du Premier ministre Abiy Ahmed, ont pris part aux discussions à Addis Abeba, au côté de représentants du gouvernement, de la société civile ou des religions.
Le parti Ezema (4 députés), qui se considère d'opposition mais a accepté un portefeuille ministériel, veut donner une chance au dialogue. "Nous espérons que cela débouchera sur une révision constitutionnelle et un espace politique libre et équitable", explique à l'AFP Eyob Mesafint, un de ses dirigeants.
Conflits
Mais pour Merera Gudina, président du Comité des Partis d'opposition (CoP, qui réunit onze formations), "il manque les ingrédients essentiels d'un dialogue national fructueux: participation, neutralité, indépendance". C'est un dialogue "mort-né" et "nous avons refusé de participer à un processus contrôlé par un seul parti", dit-il.
M. Abiy a d'emblée écarté tout gouvernement transitoire d'union réclamé par l'opposition: quelles que soient les conclusions du dialogue, "les élections resteront le seul moyen d'amener un gouvernement au pouvoir", a assuré le Premier ministre aux délégués.
Exclure par avance de possibles conclusions "d'un processus de dialogue semble devoir mener à des résultats prédéterminés", s'inquiète Ezekiel Gebissa, professeur à l'université américaine de Kettering.
Enseignant à l'Université de Zürich, Asebe Debelo voit mal le dialogue résoudre les conflits armés, en l'absence de ceux "en guerre contre le gouvernement en Oromia et en Amhara", les deux régions les plus peuplées, théâtres des conflits les plus intenses.
En Oromia (environ 40 millions d'habitants), l'Armée de libération oromo (OLA) combat le gouvernement fédéral depuis 2018. En Amhara (23 millions) les milices populaires "Fano" ont pris les armes l'an dernier.
Le dialogue national a été imaginé au plus fort des deux ans de guerre meurtrière ayant opposé à partir de novembre 2020 le pouvoir fédéral aux autorités dissidentes de l'Etat du Tigré, issues du TPLF, parti qui a dirigé de fait l'Ethiopie de 1991 à la nomination de M. Abiy en 2018.
Il n'est pas clair dans l'immédiat si le TPLF - classé terroriste durant la guerre - entend participer aux discussions, malgré un accord de paix signé en novembre 2022. Celui-ci a mis fin au conflit, mais semé les graines de celui en Amhara, en exigeant le départ de forces amhara de zones historiquement contestées de l'ouest du Tigré, dont elle se sont emparées quand elles épaulaient l'armée fédérale.
Une tentative du gouvernement en 2023 de désarmer les Fano a ensuite mis le feu au poudres.
"Processus vicié"
Mohamed Dirir l'assure: tout le monde a été invité. Citant l'IRA en Irlande du Nord ou les Farc en Colombie, il sait nécessaire de discuter avec les groupes armés, "mais il faut une volonté politique de tous les belligérants".
Pour Ezekiel Gebissa, il ne peut y avoir de dialogue national sans cessez-le-feu préalables: "il est tout bonnement inconcevable que des gens en pleine guerre puissent avoir une conversation sérieuse, libre et transparente".
Porte-parole du Front de libération oromo (OLF, mouvement historique qui a renoncé à la lutte armée à l'arrivée de M. Abiy, conduisant à la sécession de l'OLA), Lemi Gemechu dénonce un "processus vicié" qui "n'engendrera jamais une paix durable ou un exercice du pouvoir démocratique".
Ce dialogue est une "opération de relations publiques pour abuser le peuple éthiopien et berner la communauté internationale pour obtenir les devises cruellement nécessaires", dit-il.
L'Ethiopie, étranglée par sa dette et confrontée à une inflation supérieure à 20%, négocie depuis de nombreux mois avec le FMI.
Les Ethiopiens "espèrent un dialogue sincère qui règle les problèmes fondamentaux", assure Mengistu Kebede, professeur à Addis Ababa, en soulignant que "la priorité" du gouvernement "devrait être la souffrance des gens, pas son maintien au pouvoir".
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