Les estimations occidentales font état de 25 à 30.000 combattants étrangers qui, attirés par les appels au djihad, ont rejoint ces dernières années les terres du "califat" autoproclamé. Si certains y ont trouvé la mort et d'autres continuent à y combattre, un mouvement de retour vers les pays d'origine s'amplifie, alors que l'EI perd du terrain sous les assauts de la coalition internationale.
"Le flot de combattants étrangers vers le califat, qui était d'environ deux mille par mois l'an dernier, s'est pratiquement tari", assure à l'AFP Albert Ford, de la New America Foundation. "Mais ce n'est que la moitié de l'histoire: que fait-on avec les vingt-cinq à trente mille gars qui sont en Syrie ou qui y ont été et vont rentrer ? C'est un problème qui n'est pas près de disparaître".
Les volontaires arabes du djihad anti-soviétique en Afghanistan dans les années quatre-vingt étaient à peu près aussi nombreux: après la défaite de l'armée rouge, ces "arabes-afghans" ont constitué l'avant-garde de plusieurs maquis et mouvements djihadistes, alors que d'autres commettaient des attentats dans de nombreux pays.
"Une fois qu'elle a été mobilisée, une vague de combattants étrangers se démobilise difficilement", estiment, dans un rapport publié lundi et intitulé "La menace djihadiste", vingt experts américains.
- 'Le romantisme du djihad' -
"Et les combattants étrangers démobilisés vont certainement continuer à jouer un rôle dans les djihads modernes, en tant que supporteurs ou facilitateurs, même s'ils ne combattent plus eux-mêmes".
En Europe, les interrogatoires menés par les services spécialisés ou les interviews par des journalistes auprès de volontaires rentrant de Syrie ou d'Irak montrent que, s'ils assurent toujours avoir renoncé à l'action violente, nombreux sont ceux qui conservent de fortes convictions islamistes.
"La suppression totale de l'EI sur le terrain n'a rien à voir avec ce qui va se passer dans les pays occidentaux", assure à l'AFP Marc Sageman, psychiatre et ancien agent de la CIA au Pakistan pendant le djihad anti-soviétique. "Il y aura toujours des gens qui vont se considérer soldats pour cette communauté musulmane imaginée (et non pas imaginaire) et vont vouloir organiser des attentats".
"Le problème", poursuit-il, "c'est qu'il ne faudrait pas faire basculer dans le terrorisme, par une politique de répression excessive, des jeunes qui sont partis là-bas suite à une erreur de jeunesse, attirés par le romantisme du djihad".
- 'Forces de l'ordre submergées' -
"Mais dans tous les pays, à l'exception peut-être des Pays-Bas et du Danemark, l'heure est à la sévérité avec les vétérans, regrette-t-il. Les politiques ne peuvent pas se permettre qu'un seul passe à travers les mailles du filet et passe à l'action".
Les centaines, bientôt les milliers de vétérans du djihad syrien et irakien qui ont commencé à prendre le chemin du retour posent aux services spécialisés un problème insoluble, estime Katherine Zimmerman, du groupe de réflexion American Enterprise Institute.
"Les forces de l'ordre sont submergées aujourd'hui, et elles vont l'être encore plus dans un an", dit-elle. "Il va y avoir de plus en plus de monde à surveiller, et ils vont être de mieux en mieux connectés entre eux. Et on ne peut agir contre ça que jusqu'à un certain point".
Car en plus des vétérans récents de Syrie et d'Irak, l'histoire a prouvé qu'il fallait continuer à surveiller de près des djihadistes plus anciens, qui semblaient s'être rangés.
"Prenez Chérif Kouachi, l'un des tueurs de Charlie Hebdo", ajoute Katherine Zimmerman, "il a été en prison au milieu des années 2000. Il est sorti et a mis des années avant de passer à l'action".
Pour Nicholas Heras, du Center for a New American Security, "il est extrêmement difficile de différencier ceux qui rentrent parce qu'ils ne croient plus en la cause de ceux qui le font pour continuer à mener le djihad d'une autre manière. On ne pourra jamais surveiller tout le monde, 24 heures sur 24..."
Avec AFP