Les huit juges du temple du droit américain ont maintenu à l'unanimité que la règle "une personne, une voix" ne contrevenait pas à l'établissement des circonscriptions électorales en fonction de leur population totale, et non en fonction du nombre d'habitants ayant le droit de voter.
"L'Histoire, notre jurisprudence et les pratiques en place dans l'ensemble des 50 Etats, ainsi que dans d'innombrables circonscriptions locales, vont toutes dans la même direction", a justifié la doyenne de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, qui a lu l'arrêt.
Derrière ce débat pointu se cachaient des enjeux énormes, et notamment la représentativité de la population d'origine hispanique, qui a un poids démographique croissant dans la société américaine.
L'arrêt rendu lundi par la haute cour représente donc une victoire pour les associations de défense des minorités, qui s'étaient largement mobilisées pour défendre le statu quo. Il s'agit aussi d'un échec des républicains face aux démocrates.
"Bonne nouvelle à la Cour suprême", a immédiatement réagi la puissante Association américaine de défense des droits civiques (ACLU).
"Dans notre démocratie, chaque voix doit compter. Je suis heureuse que la Cour suprême ait réaffirmé ce droit fondamental", a commenté Hillary Clinton, candidate démocrate à la présidentielle.
"Le jugement d'aujourd'hui représente une victoire pour l'égalité dans notre système politique", s'est également félicité son rival, Bernie Sanders.
Concrètement, la Cour suprême était appelée à trancher la question suivante: dans le principe fondamental "une personne = une voix", que recouvre exactement le terme "une personne" ?
En effet, aux Etats-Unis, des dizaines de millions d'enfants, d'immigrés, de prisonniers, d'anciens condamnés ou de handicapés mentaux sont interdits de voter. Ils ne sont pas moins recensés et sont comptabilisés pour dessiner la carte des circonscriptions électorales.
L'offensive conservatrice contre cette règle avait pris la forme d'une plainte de deux citoyens d'un district du Texas comptant une forte densité d'électeurs.
Sue Evenwel et Edward Pfenninger affirmaient que leur voix en conséquence était "diluée", contrairement à des circonscriptions comptant de nombreux non-votants, dans lesquelles un nombre réduit de citoyens peuvent être amenés à choisir un élu.
Ils estimaient donc que le principe "une personne = une voix", réaffirmé avec vigueur depuis un demi-siècle, était violé.
Arrière-pensées
La loi fédérale stipule que les districts électoraux aient à peu près le même nombre d'habitants, avec un écart maximum de 10%. Mais les plaignants dénonçaient "un écart de près de 50%" dans certains Etats, en se référant au nombre d'électeurs.
Derrière leur action en justice, présentée au nom de la pure équité, se cachaient en fait des stratégies politiques et des questions raciales.
En effet, si la Cour suprême avait donné raison à Evenwel et Pfenninger, les circonscriptions urbaines métissées, comptant de nombreux non-votants parmi lesquels une forte proportion d'Hispaniques, auraient été élargies et moins nombreuses.
A l'opposé, les circonscriptions rurales et de banlieue, à la population majoritairement blanche, auraient vu leur taille réduite et auraient été plus nombreuses.
Au final, le camp démocrate, traditionnellement soutenu par les immigrants, y aurait perdu.
Lors de l'audience en décembre, plusieurs des juges avaient accueilli avec réserve l'idée d'un découpage électoral prenant seulement en compte les électeurs potentiels. Un tel système aurait porté un coup à la représentation de ceux qui ne votent pas, dont les mineurs.
"Nous souhaitons une démocratie dans laquelle les habitants, qu'ils votent ou pas, soient proportionnellement représentés à leur Congrès", avait déclaré le magistrat progressiste Stephen Breyer.
Une modification de la règle aurait imposé de refaire les cartes électorales de diverses villes et régions, dont New York, la Californie, Chicago ou Miami.
Pour Nina Perales, une responsable de l'organisation Maldef qui soutient les migrants mexicains, la réforme aurait désavantagé les familles nombreuses, fréquentes chez les Hispaniques.
Et, selon la NAACP, la plus importante organisation de défense des droits des Noirs américains, un tel revirement aurait écarté de toute représentation 13 millions d'enfants noirs. L'Amérique aurait été renvoyée "aux temps infâmes de notre démocratie, quand les Noirs étaient comptés comme trois-cinquièmes d'une personne", a-t-elle assuré lundi, en référence au compromis sur le statut des esclaves noirs adopté en 1787.
Avec AFP