Comme dans d'autres pays d'Afrique, Moscou mène depuis 2018 une vaste offensive diplomatique et financière dans cette ancienne colonie française plongée dans une guerre civile depuis près de huit ans.
La Russie y a livré des armes ces deux dernières années grâce à des assouplissements ponctuels de l'embargo de l'ONU pour le lui permettre. Elle y soutient ouvertement le pouvoir du président Touadéra, qui apparaît comme le favori du scrutin de dimanche pour un second mandat et avec qui elle a signé récemment un accord de coopération militaire. Et y a ouvert en 2019 un bureau militaire formé de quatre généraux russes.
Paramilitaires de Wagner
En parallèle, le gouvernement centrafricain a accordé des permis miniers, pour l'exploitation de l'or et du diamant notamment, à des sociétés russes associées à l'homme d'affaires Evguéni Prigojine.
Très proche de Vladimir Poutine, il est suspecté d'être le principal financier de Wagner, la société de sécurité privée russe dont les paramilitaires sont très présents en Centrafrique, selon experts, diplomates et ONG.
Au moins 175 "instructeurs militaires" ont été envoyés depuis 2018, terme utilisé par Moscou pour désigner ces paramilitaires privés, notamment pour former les soldats centrafricains et assurer la sécurité rapprochée de M. Touadéra.
Mais, il y a une semaine, quand les plus importants des groupes armés occupant les deux tiers de la Centrafrique ont annoncé qu'ils marchaient sur Bangui à quelques jours des élections, un ou deux avions gros porteurs Antonov ont rapidement débarqué à Bangui au moins "300 instructeurs militaires" supplémentaires, a finalement reconnu Moscou après avoir nié qu'il s'agissait de soldats des "forces régulières" comme l'avait avancé Bangui.
La Russie n'a pas expressément admis voler au secours du pouvoir mais affirmé avoir seulement envoyé ces renforts pour "aider" la Centrafrique "à renforcer ses capacités défensives" à l'approche des élections.
Depuis, nombre de témoins et humanitaires assurent que ces "instructeurs", aux côtés de ceux déjà installés dans le pays, sont au front pour combattre les rebelles.
Déjà, mi-octobre, une dizaine de blindés flanqués des drapeaux russe et centrafricain paradaient dans les rues de Bangui, fraîchement débarqués des Antonov en provenance de Moscou pour "sécuriser" les élections.
Les instructeurs russes sont installés depuis deux ans au palais de Berengo, à une soixantaine de kilomètres de Bangui.
"La Centrafrique n'a pas grand intérêt pour l'État russe", estime pourtant Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique au Centre de Recherches Internationales (CERI) de Sciences Po à Paris. "Mais cela permet surtout d'enfoncer un coin dans l'égo des Français", dans le cadre des désaccords sur la scène internationale entre Moscou et Paris, notamment en Syrie et en Ukraine, explique l'expert.
Guerre de "trolls"
L'ancienne puissance coloniale a perdu du terrain en Centrafrique ces dernières années sur le plan militaire notamment, Paris ayant dû redéployer ses forces pour la lutte contre les jihadistes au Sahel.
La Russie a comblé le vide car elle "présente plusieurs intérêts pour les dirigeants de la Centrafrique", poursuit M. Marchal: "c'est un pays qui peut leur fournir des armes, membre du Conseil de sécurité de l'ONU et qui a une expertise dans les domaines minier et pétrolier".
"Ce que Moscou cherche avec la Centrafrique, c'est avant tout un coup médiatique, qui lui bénéficie pour sa politique intérieure", avance aussi Arnaud Kalika, ancien analyste spécialiste de la Russie à la direction du renseignement militaire français.
Pour les Etats africains, avance l'expert, "la Russie offre un package de sécurité sans dette financière, seulement rémunéré par l’attribution de certaines concessions à des conglomérats privés".
En octobre, l'ONG américaine The Sentry a dénoncé dans un rapport au vitriol "des réseaux français et russes œuvrant dans l'ombre des acteurs centrafricains et régionaux pour influencer le processus électoral et faire valoir leurs intérêts économiques et géostratégiques en Centrafrique", invoquant plus particulièrement Wagner.
Trois journalistes russes, qui enquêtaient sur la présence du groupe Wagner en Centrafrique y ont été tués en juillet 2018. L'enquête est aujourd'hui au point mort.
Mi-décembre, Facebook a étalé au grand jour la guerre virtuelle que se livrent Paris et Moscou en Centrafrique et ailleurs sur le continent et au Moyen-Orient. La firme californienne a fermé des usines à "trolls": deux réseaux de comptes attribués à des personnes associées à l'Agence russe de Recherche sur Internet (ARI) et à Evguéni Prigojine et un troisième qui avait "des liens avec des personnes associées à l'armée française".