Région centrale, le Kasaï a sombré dans la violence entre fin 2016 et mi-2017 avec le soulèvement du mouvement mystico-religieux Kamwina Nsapu, entré en rébellion après la mort de son chef traditionnel dans un assaut de l'armée en août 2016.
Plus de 3.380 hommes, femmes et enfants ont été tués lors de ces violences, d'après l'Église catholique. Et au moins 1,4 million de Congolais ont été déplacés.
Les Kamwina Nsapu ont enrôlé des mineurs parmi leurs combattants face aux forces de sécurité.
>> Lire aussi : Conférence des donateurs maintenue pour la RDC
A 17 ans, Antho Panu se souvient que les recruteurs disaient: "Après la guerre, on va construire une maison pour vos parents, vous aurez une vie meilleure quand nous aurons gagné la guerre".
"Comme je voulais faire plaisir à mes parents, j'ai accepté", raconte en souriant à l'AFP cette jeune femme un peu ronde.
"Nous sommes allés nous inscrire avec mon petit frère et un ami du quartier. Nous avons participé à un rite initiatique et au final, nous sommes devenus des combattants Kamuina Nsapu", témoigne-t-elle en tshiluba, la langue nationale parlée au Kasaï.
Les parents d'Antho s'étaient d'abord opposés à l'enrôlement de leur fille avant de céder devant son insistance: "Ce n'est pas de bon coeur qu'ils m'ont laissé partir".
- Fétiches et légumes rampants -
"La première fois que nous sommes allés combattre contre les militaires, beaucoup des nôtres ont été tués", poursuit l'adolescente, envoyée "en première ligne", comme les autres filles.
"Grâce aux fétiches, nous servions de +pare-balles+ aux combattants. Je n'ai jamais été touchée car je respectais les interdits: ne pas manger de viande ni de +légumes rampants+ (ndr: qui poussent au sol comme les épinards), ne pas goûter à l'huile à frire", croit-elle, répétant les superstitions des Kamuina Nsapu.
La jeune femme a quitté la milice pendant que les "militaires recherchaient les enfants" combattant aux côtés des miliciens.
>> Lire aussi : Un chef de guerre sera jugé vendredi pour "esclavage sexuel" en RDC
Une fois sortie, Antho a été soutenue par sa grande soeur qui l'a conduite auprès d'un prêtre pour "se débarrasser des fétiches".
L'adolescente fait partie des 503 ex-enfants miliciens - dont 93 filles - passés par le Bureau catholique national de l'enfance (BNCE-RDC) depuis avril 2017 à Kananga, chef-lieu du Kasaï (divisé en plusieurs provinces depuis 2015).
Ces enfants rejoignent ensuite leur famille biologique ou une famille d'accueil.
Antho rêve d'intégrer une école de musique pour "devenir une grande musicienne". "Cette fois, je vais gagner ma vie correctement sans faire du mal à personne et faire plaisir à mes parents", dit-elle en bougeant son corps.
Si Antho rêve d'un avenir radieux, Angèle, 17 ans, se pose des questions sur le sien.
Fille de militaire, elle est sortie de la milice en juin 2017 et a été accueillie par son oncle paternel après un séjour de quelques mois au BNCE. Elle voudrait devenir enseignante et a repris ses études, mais doute de les terminer in jour.
- Etre regardée comme une enfant-
"J'étais très bien au centre. Tous m'aimaient, tous voulaient mon bien. Ce n'est pas le cas ici dans ma famille. Je suis toujours vue comme une criminelle par maman (l'épouse de son oncle)", regrette-t-elle, le regard perdu.
"Elle me répète qu'elle ne veut pas d'une milicienne chez elle". L'oncle n'est pas de cet avis.
>> Lire aussi : L’opposition exige l’audit du fichier électoral en RDC
"Je veux juste redevenir cette fille normale que j'étais, qu'on me regarde comme un enfant, qu'on m'aime comme autrefois", ajoute Angèle, d'une voix tremblante.
Lorsqu'ils arrivent, les enfants présentent des troubles du comportement: insomnies, pleurs, angoisses, agressivité, explique Rebecca, une responsable du centre. "Selon les cas, nous procédons à une thérapie appropriée".
Un petit nombre d'ex-enfants-miliciens sont traqués par les autorités, poursuit le BNCE-RDC. Selon cette association soutenue par l'Unicef, le parquet militaire de Kananga exige le retour en prison de 11 enfants parmi ceux dont il avait ordonné la libération.
Malgré la fin des violences, environ 14 milices sont répertoriées au Kasaï, selon des spécialistes sécuritaires, alors que la région est confronté à une grave crise humanitaire.
>> Lire aussi : La sécurité alimentaire se dégrade en Ituri
Dans la ville voisine de Tshikapa, Djikenga Ilungu est lui aussi âgé de 17 ans: "Moi, j'ai été pris de force pour être enrôlé chez les Kamuina Nsapu. Quand j'ai appris que les ONG lançaient des appels aux enfants pour sortir de ce groupe, j'ai décidé de m'enfuir", raconte-t-il a l'AFP dans les locaux d'une association, l'Adedefo, où il apprend à coudre.
"Nous avons vécu des choses horribles: tuer les gens, voir les autres mourir, c'était vraiment très difficile (...). Maintenant, j'apprends à faire la couture, j'espère avoir une vie normale et être accepté par les autres".
Avec AFP