Le 17 mars dernier, le New York Times et The Guardian lâchent une bombe médiatique. Cambridge Analytica, une société de communication stratégique basée à Londres, a voulu influencer les élections présidentielles américaines de 2016 et le référendum du Brexit en Grande-Bretagne en utilisant Facebook, qui frôle les deux milliards d’utilisateurs.
Cherchant à amasser les données personnelles des internautes pour mieux orienter leurs votes, la société emploie un ancien chercheur de l’Université de Cambridge, Aleksandr Kogan, qui crée un système d’études de données s’inspirant d’un algorithme conçu dans les laboratoires de l’université. Ce système, sous forme d’application sur Facebook, propose aux internautes de répondre à des quizz de personnalité en échange de sommes d’argent.
Cambridge Analytica a donc accès aux « J’aime », aux amis, et aux publications des utilisateurs et fabrique des publicités en fonction du profil visé.
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En 2014, Cambridge Analytica reçoit 15 millions de dollars de la part de l’ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, et de Robert Mercer, le milliardaire et mécène du parti républicain.
Cambridge Analytica ne dénie pas avoir récolté des informations mais dément les avoir fournis à l’équipe de campagne de Trump. L’utilisation des données était seulement à but purement académique, selon la société. Elle dit même les avoir effacées après les avoir utilisées.
Quelques jours après l’éruption du scandale, Alexander Nix, l’ex-directeur de Cambridge Analytica, est renvoyé suite à une investigation en caméra cachée de la chaîne britannique Channel 4 News. Sur l’enregistrement vidéo, Nix déclare que la société a « une longue histoire de travail en coulisses » et dévoile des méthodes aux morales douteuses pour influencer ou même des hommes politiques, allant de pots-de-vin à prostituées.
Depuis les accusations de la presse internationale, Facebook est en crise. Alex Stamos, le chef de la sécurité du réseau social annonce sa démission quelques jours après l’éruption du scandale, les investisseurs s’enfuient peu à peu, et la Federal Trade Commission ainsi que les procureurs de New-York et du Massachusetts ont lancés des investigations pour déterminer si Facebook aurait volontairement autorisé l’accès aux informations de ses utilisateurs.
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Le réseau social reconnaît souvent partager des données avec des individus tiers (une clause du contrat entre Facebook et ses utilisateurs) mais nie avoir connu les intentions de Cambridge Analytica.
Pour autant, Facebook est au courant, dès 2016, d’une faille dans leur système de sécurité. Dans une lettre à Cambridge Analytica, les avocats de Facebook écrivent que « ces données ont été obtenues et utilisées sans permission et doivent être supprimées immédiatement. »
Le créateur du réseau social, Mark Zuckerberg, reconnaît "la crise de confiance" que traverse sa compagnie et déclare qu’« une des plus importantes responsabilités de Facebook est la protection des données » lors d’une interview avec le New York Times quelques jours après les révélations.
Zuckerberg témoignera devant un des comités du Congrès américain le 11 avril. L’apparition du PDG sera une première. L’an dernier, il avait envoyé un porte-parole pour témoigner sur le rôle de Facebook dans l’intervention russe dans les présidentielles américaines de 2016.
L’affaire Cambridge Analytica déclenche une vague de protestations inédite chez les internautes. Le hashtag #DeleteFacebook émerge sur Twitter, et des célébrités se joignent au boycott du réseau social, comme Elon Musk, le dirigeant de SpaceX et Tesla, et Brian Ancton, le co-PDG de WhatsApp, une application aux 1,5 milliards d’utilisateurs que Facebook rachète pour 16 milliards de dollars en 2014.
Mais est-il possible de disparaître de Facebook ? Même si vous supprimez votre compte, les photos de vous postées par vos amis et vos conversations privées demeurent sur le site. Et le réseau social n’est pas le seul outil sur Internet à traquer et accumuler vos informations : les « cookies », notamment, vous suivent d’une page Web à l’autre.
Mais Facebook n’a pas toujours connu que des représailles. Pendant le Printemps Arabe en 2011, le réseau social est reconnu comme l’outil de la démocratie par excellence. Facebook permet alors aux internautes d’organiser des rassemblements et des manifestations à l’abri de la surveillance de leurs oppresseurs. Aujourd’hui, en dehors des États-Unis, comme en Égypte ou au Myanmar, Facebook remplie toujours cette fonction de bouclier anti-censure.
Suite au scandale des « trolls » russes l’an dernier, Facebook a récemment fermé des centaines de comptes associés à l’Internet Research Agency (IRA), une compagnie de propagande russe considérée comme une véritable « ferme à trolls ». Le réseau social travaille aussi sur une application qui aiderait les utilisateurs à détecter les contenus de propagande.
Alors même que l’affaire Cambridge Analytica est encore en cours de développement, le hashtag DeleteFacebook a été mentionné (à grande majorité négativement) 58 000 fois en six jours, du 29 mars au 4 avril. Ainsi, malgré ses efforts, Facebook semble toujours peiner à garder ses amis.