Alertée par les cris de terreur de ses voisins, Zemed n'eut d'autre choix que d'abandonner les plus petites à leur funeste sort et de prendre ses jambes à son cou pour fuir l'éboulement de détritus dévalant la pente.
Les jeunes sœurs de Zemed figurent parmi les 113 victimes de la catastrophe du 11 mars dans la plus grande décharge d'ordures d'Éthiopie, en périphérie de la capitale Addis Abeba.
"Je me suis enfuie et finalement, quand j'ai tourné la tête, il n'y avait plus rien. Tout était devenu noir", explique Zemed, tout de noir vêtue en signe de deuil et tenant un portrait de sa mère Yeshi Beyene, elle aussi décédée dans la tragédie.
Ce weekend, une semaine après le drame, les secouristes continuaient de fouiller désespérément l'amoncellement de détritus déblayé par des pelleteuses.
Un flanc de la principale pile de déchets sur la décharge de Koshe, dont le nom signifie "saleté" en argot amharique, principale langue du pays, s'est détaché, emportant les habitations de fortune alentour.
Ce jour-là, Zemed a perdu sept membres de sa famille, dont ses trois sœurs cadettes et un bébé, fille, né quelques jours plus tôt et qui n'avait pas encore été prénommé.
Comme la plupart des victimes, les proches de Zemed vivaient sur la décharge, passant leurs journées à fouiller les amoncellements de déchets à la recherche d'objets susceptibles d'être revendus.
Koshe est depuis plus de 40 ans le principal lieu d'entreposage des ordures d'Addis Abeba, capitale de 4 millions d'habitants à la croissance démographique galopante.
Toutes les habitations construites sur la décharge sont maintenant enterrées sous un amas crasseux. L'éboulement a laissé sur un côté une énorme entaille, en forme de croissant de lune.
- Ouverture d'une enquête -
Les proches et amis des victimes sont assemblés, sous l’œil vigilant des policiers. Ceux-ci s'acharnent à tenir à l'écart les journalistes, obligeant ceux de l'AFP, qui mènent des interviews avec une famille de victimes, à supprimer leurs photos et vidéos.
Les habitants de Koshe reconnaissent que leur présence sur le site a été à l'origine d'un litige avec le gouvernement. En 2016, celui-ci avait souhaité déplacer la décharge.
Mais il avait finalement fait volte-face devant les protestations émises par les riverains du nouveau site choisi.
Depuis, le gouvernement avait ordonné que soient menés des travaux d'aplanissement au sommet de la montagne de déchets, dans le cadre de la construction d'une centrale au biogaz exploitant les ordures.
Il s'agit d'un des nombreux nouveaux projets d'infrastructures lancés par le gouvernement et dans lesquels le Premier ministre Hailemariam Desalegn voit la preuve de sa détermination à développer un pays où la pauvreté reste endémique, malgré des années de forte croissance économique.
Pour les résidents de Koshe, ce sont les travaux d'aplanissement qui sont à l'origine du drame. Ils auraient accentué la pression sur les flancs de la colline, entraînant l'éboulement.
Après avoir un temps rejeté ces accusations, le gouvernement a autorisé l'ouverture d'une enquête, qui sera menée par des experts éthiopiens et américains.
Les autorités ont promis de trouver un logement pour toutes les personnes qui ont perdu leur foyer dans la catastrophe. Mais Zemed assure que ses proches ayant survécu n'ont pour l'instant aucun endroit pour vivre, après avoir tout perdu.
"Ça c'est transformé en boue", se lamente-t-elle. "Tout s'est transformé en boue."
Avec AFP