Mohammed Ali Malek, 28 ans, a été reconnu coupable d'homicide, naufrage et aide à l'immigration clandestine. Seul ce dernier chef a été retenu contre Mahmoud Bikhit, un Syrien de 26 ans considéré comme son second à bord.
A l'issue d'un procès mené selon une procédure accélérée, avec des audiences espacées et souvent à huis clos, dans la quasi-indifférence des médias italiens, les deux hommes ont également été condamnés à verser chacun neuf millions d'euros d'amende.
Le parquet avait requis 18 ans de prison contre M. Malek et six ans contre M. Bikhit. Tous deux avaient réfuté toute responsabilité dans le drame, affirmant n'avoir été que des migrants parmi les autres.
"J'ai passé deux ans et demi en Italie et j'ai un jeune fils avec une Italienne. Je veux l'épouser et reconnaître l'enfant. C'est la vérité. Je l'ai toujours dit, malgré tout ce qui a été dit contre mon nom, je n'étais qu'un passager", a déclaré M. Malek devant le tribunal avant le délibéré.
Mais selon les autres survivants, M. Malek était à la barre lorsque le bateau bleu, parti de Libye le 18 avril 2015 au matin, avait chaviré et coulé la nuit suivante, sous les yeux horrifiés de l'équipage du "King Jacob", un cargo portugais envoyé à son secours.
Selon le parquet, les manoeuvres erratiques de M. Malek ont fortement contribué au chavirage du bateau, qui a semble-t-il percuté le "King Jacob" à plusieurs reprises. La défense avait pour sa part réclamé, en vain, que les manoeuvres du cargo portugais soient également examinées.
Il n'y a eu que 28 survivants, dont les récits glaçants ont provoqué une vague d'indignation et poussé l'Union européenne à renforcer de manière significative sa présence au large de la Libye, où patrouillent désormais jusqu'à une dizaine de navires militaires européens.
A la suite d'une promesse du chef du gouvernement de l'époque, Matteo Renzi, la marine italienne a renfloué fin juin l'épave du chalutier qui gisait à environ 370 mètres de profondeur, une opération délicate qui a coûté 10 millions d'euros et a permis un macabre décompte.
Outre 24 victimes retrouvées la nuit du drame, la marine italienne a récupéré 219 corps autour de l'épave. Et après le renflouement, les pompiers ont rempli 458 sacs mortuaires, souvent avec des restes de plusieurs personnes. Selon les experts, le total devrait atteindre 800 à 900 morts.
En annonçant ces chiffres en octobre, Vittorio Piscitelli, commissaire extraordinaire pour les personnes disparues en Italie, s'était indigné: "Comment a-t-il été possible de mettre jusqu'à 900 personnes là-dedans ! Ils ne pouvaient pas arriver vivants".
Les pompiers ont raconté avoir découvert des corps "entassés comme dans les trains pour Auschwitz", à cinq par m2 dans la cale, la salle des machines et même le puits de la chaîne d'ancre à l'avant.
- Sachet de terre en souvenir -
Des documents retrouvés dans les poches des morts montrent qu'ils venaient du Soudan, de Somalie, du Mali, de Gambie, d'Ethiopie, du Sénégal, de Côte d'Ivoire, d'Erythrée, de Guinée Bissau et du Bangladesh.
Signe de leur déchirement, l'un d'entre eux avait avec lui un petit sachet contenant de la terre de son pays.
Les corps sont désormais enterrés dans des cimetières de Sicile, après un relevé minutieux de tous les éléments pouvant aider leurs proches à les identifier: échantillons ADN, documents, vêtements, tatouages, cicatrices...
Dans un communiqué mardi, le parquet de Catane a salué une décision qui affirme l'autorité de la justice italienne dans cette affaire, même si les faits se sont déroulés dans les eaux internationales.
Le drame n'a cependant dissuadé ni les migrants ni surtout les passeurs en Libye, qui ont continué à envoyer des bateaux tout aussi surchargés. Depuis avril 2015, plus de 300.000 migrants sont arrivés en Italie et près de 7.000 sont morts ou disparus en Méditerranée.
Mardi matin, 678 migrants secourus dimanche au large de la Libye ont débarqué à Catane, à moins de 2 km du tribunal.
Avec AFP