Quand Simone Biles a marqué de son empreinte les Jeux cariocas en survolant le concours général individuel de gymnastique artistique, jeudi dernier, elle avait du mal à y croire. "C'est irréel, ce qui m'arrive", soufflait la teenager texane de sa voix acidulée.
Pareille incrédulité l'avait saisie après sa victoire dès ses premiers Mondiaux, en 2013, "je pensais que c'était peut-être un coup de bol", avant de récidiver aux Mondiaux-2014. "C'est là que j'ai commencé à y croire, que je me suis dit: 'Waow, peut-être que je suis bonne!' "
Incroyable, c'est toute l'histoire de sa vie, entamée sans père dans l'Ohio chez une mère proche de cet état, dépendante à la drogue et l'alcool. Avec ses trois frères et soeur, la petite Simone est ballottée de familles d'accueil en centres sociaux jusqu'à atterrir chez ses grands-parents, dans le Texas, qui l'adoptent.
La révélation intervient à l'âge de six ans, quand elle part en voyage scolaire dans un centre d'entraînement de gym. Le virus gymnique la contamine: elle s'amuse aux sauts périlleux du haut de sa boîte aux lettres ou enchaîne les saltos arrières dans son salon.
A huit ans, elle rencontre Aimee Boorman, prof de gym qui n'avait jamais entraîné d'athlète de haut niveau et qui devient la seconde mère qui veille à son équilibre sur les agrès comme dans la vie, sans brider la gaité de cette jeune fille coquette et collectionneuse de figurines de tortues.
A Houston, le couple de la blonde chicagoane et l'Africaine-Américaine texane d'adoption va révolutionner le monde de la gym et en bousculer les nymphettes diaphanes.
Records à 19 ans
Les gymnastes sont généralement spécialisés dans un agrès, puis plus ou moins bons dans les autres. Biles, elle, possède une non-spécialité, les barres asymétriques, seul agrès dont elle ne possède aucune médaille olympique ou mondiale. Elle écrase la concurrence comme jamais personne avant elle.
La tornade prend son élan en 2013, pour deux records aux Mondiaux en seulement trois participations: trois sacres individuels (ex aequo avec la Russe Svetlana Korkhina) et 10 médailles d'or.
Dès ses premiers JO à Rio, elle égale le record de quatre titres sur les mêmes Jeux codétenu par la Soviétique Larissa Latynina et la Hongroise Agnes Keleti en 1956, quand il y avait sept compétitions contre six aujourd'hui, ainsi que la Tchécoslovaque Vera Caslavska (1968) et la Roumaine Ecaterina Szabo (1984).
Dans la gym féminine, c'est toujours Nadia Comaneci qui mène le jeu, depuis son "10 parfait" à Montréal-1976, le premier aux JO, et sa fuite de la Roumanie de Ceaucescu en 1989, quand sa trajectoire a croisé la grande Histoire.
"Simone est une championne olympique incroyable et j'en suis une grande fan", avait dit la quintuple championne olympique à USA Today la semaine dernière. "Toutefois, seul le temps dira si elle devient la meilleure de tous les temps".
Adoubée par Comaneci
Une filiation s'esquisse entre les deux femmes: entre ses auto-célébrations permanentes, elle prodigue quelques témoignages d'affection envers l'Américaine, la seule gymnaste dont elle retweete des messages. "C'est vraiment cool!", a réagi cette dernière.
Biles est encore loin du record de la Soviétique Larissa Latynina", 18 podiums olympiques dont neuf en or entre 1956 et 1964.
Et toute comparaison est un peu vaine: le "10 parfait" n'existe plus depuis le changement du système de notation en 2006.
Mais en technique pure, la Texane de 19 ans plane au-dessus de tout le monde, avec notamment son saut maison, le... Biles: un double salto arrière tendu avec demi-vrille et retombée à l'aveuglette.
"Elle est sans doute la gymnaste la plus talentueuse que j'aie jamais vue et je crois qu'elle n'a montré qu'une fraction de ce qu'elle pouvait faire, elle est imbattable", avait dit avant Rio-2016 sa compatriote Mary Lou Retton, qui a popularisé la gym aux Etats-Unis dans les années 1980.
C'est cette domination outrancière qui place Biles dans le sillage de Bolt et Phelps.
Comme le résume sa coéquipière Aly Raisman, interrogée sur la compétition avec son incroyable copine: "Je suis sûre que la plupart ne vont pas au 100 mètres en se disant qu'ils peuvent battre Usain Bolt, donc, c'est à peu près la même chose".
Avec AFP