Le gouvernement, l'OMS, les ONG, les Etats-Unis ... investissent des millions de dollars et des grands moyens ostentatoires (4X4 ultra-modernes) entre Beni et Butembo (est) pour lutter contre la fièvre hémorragique, élevée mercredi soir au rang "d'urgence de santé publique de portée internationale" par l'OMS.
Cet argent ne fait pas forcément le bonheur des habitants ni ne suscite leur gratitude. Il pourrait même expliquer une partie des violences qui entravent le travail des équipes de la riposte.
"Ici, la population ne connaissait pas les ONG, les humanitaires. D'un coup, ils ont vu beaucoup de grandes Jeeps apparaître dans la ville", analyse le maire de Butembo, Sylvain Kanyamanda.
- "Frustrations" -
"Il y a eu une forte réaction dans la population parce qu'ils ne comprenaient pas comment le gouvernement et la communauté internationale pouvaient investir autant d'argent et de moyens pour Ebola alors qu'ils ne font rien pour lutter contre les massacres des ADF (une milice armée) autour de Beni", ajoute-t-il.
Une revendication revient chez les habitants de Butembo: qu'au moins cet argent profite aux locaux et non aux Congolais venus d'autres régions ou aux expatriés.
"Les revendications sont toujours les mêmes depuis le début de l'épidémie : remplacer les expatriés par des nationaux. Certains disent +vous venez de vos pays pour venir récolter de l'argent sur nos morts+", déclare le vice-président de la Société civile Edgar Mateso.
Les différences de traitement entre les locaux et les autres sont régulièrement dénoncées.
"Avant d'être détaché à la riposte, je gagnais environ 100$ par mois, aujourd'hui je gagne près de 600$ (...) mais les médecins qui viennent de Kinshasa touchent 4.500$ par mois, plus 150$ de per diem par jour. C'est sûr, ça crée des frustrations", glisse un médecin généraliste originaire de Butembo.
"Il y a de grandes différences de traitement entre les équipes, alors que nous faisons tous le même travail", relève un Congolais engagé dans des actions de prévention, et payé par une organisation internationale.
"Celles qui sont prises en charge par les partenaires internationaux (OMS, Unicef, ...) sont payées dans les temps, mais ceux qui sont pris en charge par le PDSS (un programme du ministère de la Santé congolais) ont toujours des retards sur le paiement de leurs salaires", affirme-t-il.
Investi dans l'emploi de nationaux originaires de la région, l'argent de la "riposte" nourrit des jalousies de voisinage.
Deux responsables locaux ont été assassinés en début de semaine entre Beni et Butembo. "Selon plusieurs sources, les assaillants seraient des personnes du même quartier qui les enviaient car ils avaient trouvé un emploi dans la riposte contre Ebola", d'après le ministère de la Santé.
L'une des victimes, une femme, "avait déjà été attaquée une première fois il y a quelques semaines mais elle avait eu la vie sauve parce qu'elle avait donné de l'argent aux assaillants".
- "Menaces de mort" -
"Beaucoup de mes collègues ont fui Butembo parce qu'ils craignaient pour leur peau", reprend le Congolais engagé dans des actions de prévention.
"Dans leurs communautés on savait qu'ils travaillaient pour des ONG internationales, et pour ça, ils pouvaient être poursuivis jusqu'à chez eux. Ils ont été menacés, allant même jusqu'à des menaces de mort : c'est vous qui êtes en train de manger l'argent de la riposte. Donne-moi 2.000$ ! Si tu n'as pas 2.000$, on va tirer sur toi", raconte-t-il.
Loin de Butembo, depuis Genève, les experts de l'OMS ont déploré "des retards dans le financement qui ont entravé la riposte" en décidant d'élever l'épidémie au rang d'urgence sanitaire internationale.
Une décision qui n'enthousiasme pas le ministre congolais de la Santé, Oly Ilunga.
Le ministre, par ailleurs médecin, "espère" que la décision de l'OMS "n'est pas le résultat des nombreuses pressions (...) pour lever des fonds pour les acteurs humanitaires".
"Nous espérons qu'il y aura une plus grande transparence et redevabilité des acteurs humanitaires par rapport à leur utilisation des fonds pour répondre à cette épidémie d'Ebola", ajoute le ministre.
"L'épidémie d'Ebola est avant tout une crise de santé publique qui nécessite une réponse par des acteurs ayant une réelle expertise technique".
Message reçu, promet jeudi une ONG présente à la marge dans la riposte, Oxfam : "Tout nouveau financement doit s'accompagner d'une responsabilisation plus stricte afin de garantir que tout le monde travaille efficacement".
Les Etats-Unis via USAID se présentent comme les premiers donateurs (98 millions de dollars) et estiment que "d'autres donneurs doivent s'y mettre".