La photo de l'imposante bête blanche à cornes, étalée dans une mare de sang fait le tour des réseaux sociaux et suscite des réactions hystériques depuis une semaine. La vache s'est même invitée dans le Journal du 20 heures à la télévision nationale.
Le 19 septembre, veille de grandes manifestations populaire contre le président Faure Gnassingbé, les forces de sécurité font une descente musclée dans le village natal de Tikpi Atchadam, nouvelle figure de proue de l'opposition qui se dit "menacé" et se cache.
Les pick-ups de l'armée et de la gendarmerie encerclent le village, et les bérets rouges, une unité d'élite, se déploient. Perquisitions, interrogatoires... Ils cherchent "des armes de guerre" et passent les maisons au peigne fin. Jusque sous le lit du chef traditionnel.
"Certains étaient cagoulés, ils étaient très nerveux", raconte un notable local, Agoro Wakilou. "On a cru qu'ils étaient venus nous tuer".
Deux jeunes sont morts fin août lors d'une manifestation dans la grande ville voisine de Sokodé, et la situation est tendue depuis que le Nord, région autrefois dévouée à la famille Gnassingbé, a rallié la contestation nationale qui secoue le pays depuis deux mois.
Selon le chef d'escadron de la gendarmerie, Abalo Yao, "trois fusils d'assaut coréens" mais aussi des arcs, des flèches, des gris-gris, et 18 millions de FCFA en faux billets seront découverts - ce que les villageois contestent.
Les militaires sont sur le point de partir, quand des coups de feu éclatent, créant la panique. Une vache vient d'être abattue à bout portant."Elle menaçait les forces de défense et de sécurité", expliquera le responsable de la gendarmerie.
Les moqueries fusent aussitôt sur la toile: "Même les animaux réclament la Constitution de 1992 au Togo", tweete ainsi un internaute faisant référence à la principale revendication à l'origine de la mobilisation populaire.
Certains rendent hommage à celle qu'ils considèrent être une "nouvelle victime de la répression du régime dictatorial des Gnassingbé" quand le site Togomédias.com évoque un "assassinat politique" sous le titre "La vache qui rit".
- "Tué symboliquement" -
Pourtant, l'incident est loin d'être aussi anecdotique qu'il n'y parait. Et dans cette localité à majorité musulmane d'environ 6.000 habitants, il n'a fait rire personne.
Le mur de la maison du boucher près duquel se trouvait l'animal abattu, est criblé d'impacts de balles. Son épouse, qui se trouvait à l'intérieur, a été frôlée par une balle et, "prise de malaises", a du être hospitalisée pendant trois jours.
"Après les perquisitions, les intimidations, c'était la goutte d'eau. Le chef est parti voir le préfet pour que le boucher soit dédommagé", raconte M. Wakilou. C'est désormais chose faite.
Les anciens de Kparatao, où l'opposant Atchadam a cru bon de mettre sa famille à l'abri, disent aujourd'hui vivre "la peur au ventre". "Ils (le pouvoir) nous menacent parce que c'est de là que vient le +leader+", murmure un vieillard dans une longue tunique blanche, les yeux voilés par la cataracte.
Pour les militaires, l'esprit d'Atchadam a pu s'incarner dans le corps du boeuf, analyse Comi Toulabor, directeur de recherche au LAM (Les Afriques dans le Monde) à Sciencespo Bordeaux. "Les croyances animistes sont encore très présentes au Togo".
Ce spécialiste du pays établit un lien direct entre cet incident et une légende connue à Lomé du temps du père de l'actuel chef de l'Etat, le général Gnassingbé Eyadéma, qui a régné d'une main de fer sur le pays pendant 38 ans. Une anecdote confirmée par plusieurs hauts gradés de l'armée, selon lui.
"Chaque 13 janvier à minuit pile depuis 1963, le vieux Eyadéma rassemblait ses officier au +camp RIT+ à Lomé, et tirait sur un boeuf pour commémorer l'assassinat de Sylvanus Olympio - le premier président du Togo indépendant", qu'il a lui-même orchestré pour s'emparer du pouvoir.
Le père était "toujours entouré de toutes sortes de féticheurs et de marabouts", poursuit Comi Toulabor. "Et Faure perpétue ce rituel encore aujourd'hui".
Pour le chercheur, pas de doute, "les militaires ont voulu tuer symboliquement Tikpi Atchadam"... Ou lui donner un avertissement.
Avec AFP