Le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique (plus de 100 millions d'habitants) affiche certes la croissance la plus rapide et la compagnie aérienne la plus dynamique du continent. Il a aussi entrepris un nombre important d'ambitieux projets d'infrastructures, dont des barrages hydroélectriques.
Mais les devises étrangères y sont de plus en plus rares, la dette publique et le chômage chez les jeunes de plus en plus insoutenables alors que des secteurs florissants dans d'autres pays d'Afrique y sont moribonds et que la croissance économique, jusqu'il y a peu à deux chiffres, a ralenti.
Face à ces problèmes, le nouveau Premier ministre Abiy Mohamed n'a eu d'autre choix, selon les analystes, que d'ouvrir une économie éthiopienne qui avait élevé le contrôle étatique au rang de vertu cardinale.
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Mardi, M. Abiy a annoncé dans un communiqué que le secteur privé pourrait prendre des parts minoritaires dans certaines grandes entreprises publiques, telles Ethiopian Airlines ou la société des télécoms, et que des usines, la société des chemins de fer et des parcs industriels, notamment, pourraient être privatisés.
"Ce changement peut être immense, oui, mais c'est avant tout un changement dicté par la nécessité", assure Aly-Khan Satchu, un analyste indépendant basé au Kenya.
"M. Abiy a compris que l'Ethiopie a le dos au mur parce que le modèle selon lequel le gouvernement est à la fois le principal emprunteur, le principal garant et le principal investisseur ne fonctionne plus", souligne-t-il.
Quitte à relâcher la main de fer avec laquelle le gouvernement contrôle l'économie.
- Racines marxistes -
Lors de sa prise de pouvoir en 1991, après 16 ans de guerre civile, le parti unique du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) a placé l'Etat au coeur de la reconstruction économique du pays, à coups d'investissements portés par des emprunts principalement chinois.
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Et bien que l'Ethiopie reste un des pays les plus pauvres d'Afrique, cette politique lui a permis d'afficher une croissance à plus de 10% durant la dernière décennie.
Le Fonds monétaire international prédit pour 2018 une croissance de 8,5% qui reste la meilleure du continent, mais est en baisse par rapport aux 10,7% de 2017. Ce recul a été largement attribué aux manifestations antigouvernementales ayant secoué le pays depuis fin 2015 et ayant mené à la démission du prédécesseur de M. Abiy en février.
Ces manifestations exprimaient notamment la frustration de la jeunesse face à un chômage important et une répartition des richesses peu équitable. Selon la Banque africaine de développement, un tiers des jeunes en zones urbaines n'ont pas d'emploi.
Si ces problèmes devaient perdurer, ils pourraient menacer le parti au pouvoir, estime Ahmed Salim, de la société Teneo Intelligence, spécialisée dans l'analyse de risques géopolitiques. "Dans un pays de 100 millions d'habitants, le secteur public n'est pas en mesure d'absorber" un tel niveau de chômage, soutient-il.
La libéralisation de l'économie éthiopienne a été annoncée après une réunion des plus hauts dirigeants de l'EPRDF, un parti aux racines marxistes. Le même jour, le Parlement a annoncé la levée de l'état d'urgence, une décision interprétée comme un signe de la volonté de M. Abiy d'entreprendre des réformes.
- Viendront-il? -
Le gouvernement éthiopien contrôle actuellement la plupart des grandes industries et les sociétés étrangères sont maintenues à l'écart des secteurs bancaires ou de la distribution, à la différence de pays comme le Ghana et le Kenya qui ont facilité l'installation de grands groupes étrangers sur leur sol.
L'ouverture de l'économie devrait, selon M. Salim, susciter l'intérêt de sociétés étrangères, notamment pour l'entreprise nationale de télécommunication Ethio Telecom, ainsi que pour les secteurs agricole, brassicole et de l'énergie.
L'économiste en chef de la banque d'investissement Renaissance Capital, Charlie Robertson, se veut plus nuancé: de nombreux investisseurs potentiels pourraient être échaudés par le climat des affaires en Ethiopie, où le contrôle gouvernemental sur l'économie connaît peu d'équivalent sur le continent.
L'Ethiopie, au 161e rang du classement de la Banque mondiale sur la qualité de l'environnement pour les affaires, n'a pas de marché boursier, quasiment aucun mécanisme de sortie des bénéfices en dehors du pays et a interdit l'année dernière aux étrangers de posséder une voiture à titre personnel.
"Une implication omniprésente du gouvernement, une défiance du capitalisme profondément ancrée et la conviction que le gouvernement sait mieux que quiconque", relève M. Robertson.
Ce dernier juge par ailleurs la monnaie nationale, le birr, toujours surévaluée, en dépit d'une dévaluation de 15% en octobre dernier.
"La question centrale est de savoir si Abiy sera en mesure de tenir ses promesses", conclut Aly-Khan Satchu.
Avec AFP