Le riziculteur a dû abandonner sa ferme de 100 hectares située à quelques kilomètres seulement de Makurdi, la capitale régionale, par crainte de devenir à son tour la cible des attaques et des enlèvements qui se multiplient dans la région.
Comme Donald Amokaha, de nombreux agriculteurs de la "Middle belt", la 'ceinture du milieu' qui traverse le Nigeria d'est en ouest, fuient les violences en zones rurales, avec des conséquences désastreuses sur les récoltes et le coût déjà élevé des denrées alimentaires.
Depuis des années, une âpre compétition pour les ressources naturelles oppose éleveurs transhumants et agriculteurs sédentaires, les seconds accusant les premiers de saccager leurs terres avec leur bétail.
Aggravées par le changement climatique et l'explosion démographique dans ce pays de 200 millions d'habitants, les violences sporadiques ont débouché sur une grave crise sécuritaire, entre attaques de bandits lourdement armés et représailles sans fin entre communautés.
"D'habitude, je cultive du riz, du millet et des graines de sésame sur 100 hectares dans le district de Guma, dans l'État de Bénoué, mais cette année, j'ai fui les attaques des éleveurs", affirme à l'AFP Donald Amokaha. "J'ai labouré 40 hectares mais je n'ai pas pu planter".
Outre l'insécurité, plusieurs économistes, pointe du doigt le contexte économique difficile pour ce pays producteur de pétrole, confronté aux retombées de la pandémie de Covid-19 et à l'effondrement de la demande d'or noir.
Selon le bureau des statistiques nigérian, l'inflation des denrées alimentaires culminait à un taux vertigineux de 21,83 % en juin.
Dans l'État de Nasawara, à la périphérie d'Abuja, la capitale fédérale, le vendeur de légumes Badamasi Bello se dit très inquiet: il perd chaque jour des clients découragés par le prix excessif des produits de base.
"J'avais l'habitude de vendre des tomates et du poivre, tout est plus cher maintenant. J'en vendais dix sacs par jour, mais les clients ne viennent plus comme avant. Je ne vends plus que deux sacs par jour", explique-t-il.
En juillet, l'agence régionale de gestion des urgences a mis en garde contre le risque de pénurie alimentaire, de nombreux agriculteurs ayant trouvé refuge dans des camps de déplacés ne pouvant retourner sur leurs terres.
En mai, l'Etat de Bénoué comptait plus de 200.000 personnes déplacées, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), des chiffres que les autorités locales jugent largement sous-estimés.
Pour le gouverneur, Samuel Ortom, membre du parti d'opposition PDP, l'insécurité menace la production alimentaire et la croissance économique du pays tout entier.
"Cette crise fait peser une grande menace pour la croissance et le développement du Nigeria", a déclaré M. Ortom à l'AFP. "Sans une sécurité adéquate, il ne peut y avoir d'agriculture pour produire de quoi nourrir notre peuple".
Le "grenier" de la nation
La Bénoué produit des cultures comme l'igname, le riz, les haricots et le maïs, et fournit 70 % du soja du Nigeria, selon la Commission nigériane de promotion des investissements, ce qui lui vaut le surnom de "grenier alimentaire de la nation".
En mai, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a averti que 9,2 millions de Nigérians pourraient se retrouver en situation d'insécurité alimentaire cette année, en raison des troubles qui agitent le pays.
La banque centrale du Nigeria a déclaré avoir récemment débloqué 791 milliards de naira (1,7 million d'euros) pour les agriculteurs et réduit le taux d'intérêt sur les prêts afin d'encourager le secteur.
Selon Chijioke Ekechukwu, directeur de Dignity Finance & Investment, qui propose des services financiers, la demande alimentaire du Nigeria dépasse très largement la production nationale.
"Le gouvernement doit ouvrir les frontières pour importer les produits alimentaires manquants. Lorsque cela sera fait, il y aura assez pour le marché local et les prix vont forcément baisser", a-t-il déclaré à l'AFP.
Le Nigeria a fermé une partie de ses frontières en août 2019 pour lutter contre la contrebande de riz et d'autres marchandises tout en misant sur la production locale, puis en mars de l'année dernière afin d'empêcher la propagation du coronavirus.
Pour M. Amokaha, tant que l'insécurité affectera la chaîne d'approvisionnement, les prix des produits alimentaires continueront d'augmenter. "Au lieu d'importer des aliments, le gouvernement devrait lutter contre l'insécurité pour encourager les agriculteurs à produire davantage."