"Je sais, au fond de mon coeur, que je n'ai rien fait pour déshonorer cette institution", a-t-il déclaré lors d'un discours prononcé depuis l'hémicycle. "Toutefois, j'annonce aujourd'hui que dans les prochaines semaines, je démissionnerai du Sénat".
"Je m'en vais alors qu'un homme qui s'est vanté d'avoir agressé sexuellement des femmes occupe le Bureau ovale", a-t-il ajouté.
Beaucoup d'élues et d'élus estiment que le Congrès américain se situe à un moment-charnière, un point de l'histoire où chacun doit, sans la moindre ambiguïté, adopter une politique de tolérance zéro envers tout comportement déplacé, a fortiori du harcèlement ou des agressions sexuelles.
C'est ce qui a poussé, mercredi en moins de 24 heures, 32 des 48 démocrates et apparentés du Sénat à appeler Al Franken, 66 ans, à la démission. Un mouvement lancé par un groupe de sénatrices après un nouveau témoignage.
Le Congrès a longtemps été une institution machiste. Aujourd'hui, les femmes ne représentent que 20% des parlementaires. Mais il y vingt ans, elles n'étaient que 12%; il y a trente ans, 5%.
Nancy Pelosi, chef de l'opposition démocrate de la Chambre, qu'elle fut la première femme à présider de 2007 à 2010, s'est félicitée du changement de culture, illustré notamment par la désignation par le magazine Time, comme personnalité de l'année, des femmes ayant brisé le silence sur le harcèlement sexuel.
"Notre pays a franchi le Rubicon, grâce à ces femmes", s'est félicitée Nancy Pelosi jeudi.
"Ça suffit", a expliqué la sénatrice Kirsten Gillibrand, qui la première a appelé Al Franken à la démission. "Le pays a besoin de cette conversation. C'est une erreur de faire la différence entre agression sexuelle, harcèlement sexuel ou geste déplacé. Il faut tracer une ligne rouge, et dire qu'aucun de ces comportements n'est acceptable".
'Le sommet de l'iceberg'
Avant d'être élu au Sénat en 2008, Al Franken fut l'une des stars de l'émission culte Saturday Night Live dans les années 1970 et 1980, avant de continuer une carrière d'humoriste, de scénariste et d'animateur radio. C'est dans ces habits de pitre qu'en 2006 il a tenté d'embrasser de force l'une de ses partenaires sur scène, lors d'une tournée auprès des troupes américaines à l'étranger. Mais c'est en tant que sénateur qu'il a été accusé de gestes déplacés sur plusieurs femmes, pendant des photos.
Par respect pour ses accusatrices, a-t-il dit, Al Franken n'a pas contesté la plupart des faits qui lui sont reprochés, bien qu'il dise "avoir des souvenirs différents pour certains".
Il était très populaire jusqu'à cette affaire, ayant réussi sa transition de comique à parlementaire appliqué, récemment auteur d'un livre à succès éreintant notamment Donald Trump.
Il a multiplié les actes de contrition depuis les premières accusations, il y a trois semaines. Il a accepté de coopérer avec l'enquête lancée par la commission éthique du Sénat, censée traiter ce type d'affaires et recommander des sanctions pouvant aller de la réprimande à l'exclusion.
Finalement, ses collègues n'ont pas voulu attendre les conclusions de cette procédure.
Un procès en place publique inéquitable ? Non, répond l'élue démocrate de la Chambre Jackie Speier. "On sait que 70% des victimes de harcèlement sexuel ne le rapportent pas car elles ont peur de perdre leur travail. Donc ce n'est probablement que le sommet de l'iceberg", a-t-elle dit jeudi sur MSNBC.
Mais certains, comme l'ancien président républicain de la Chambre Newt Gingrich, s'inquiètent d'une telle précipitation.
"Franken 1.053.205 électeurs du Minnesota l'ont élu au Sénat en 2014, et 30 sénateurs autoproclamés 'purs' veulent le pousser dehors. Qu'est devenu le suffrage universel ?" a-t-il écrit sur Twitter.
Un autre élu démocrate du Congrès, le doyen de la Chambre John Conyers, a démissionné mardi, à 88 ans. Contrairement à Al Franken, il était accusé de harcèlement sexuel répété sur des collaboratrices.
Certains démocrates demandent aux républicains d'appliquer la même sévérité dans leurs rangs, notamment contre Roy Moore, un ancien magistrat accusé d'attouchements sur des mineures dans les années 1970 et qui sera peut-être élu sénateur mardi prochain dans l'Alabama.
Avec AFP