Ce foisonnement intervient plusieurs années après l'adoption d'une nouvelle Constitution, en 2014, l'un des principaux acquis de la révolution. Ce texte avait été loué à l'époque pour les garanties qu'il apporte à l'égalité hommes-femmes, avant que sa mise en application ne s'enlise.
Depuis l'été dernier, la dynamique semble relancée.
En janvier, une loi contre les violences faite aux femmes, votée six mois plus tôt, est entrée en vigueur, élargissant considérablement le champ des infractions: violences morales, exploitation économiques ou harcèlement tombent désormais sous le coup de la loi.
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L'impératif de parité inscrit dans le code électoral a, par ailleurs, obligé les partis politiques à aller chercher de nombreuses femmes pour les municipales de mai, y compris comme têtes de liste.
Et, depuis septembre, les Tunisiennes sont libres de se marier avec des non-musulmans, après l'abrogation de circulaires jugées discriminatoires par la présidence de la République.
"Dans tous les domaines"
Le mois précédent, dans un discours à l'occasion du jour de la "Fête de la femme", le chef de l'Etat Béji Caïd Essebsi avait en outre relancé le débat sur le délicat sujet de l'héritage, en jugeant que la Tunisie se dirigeait inexorablement vers l'égalité "dans tous les domaines".
Cette égalité successorale s'annonce comme l'une des réformes les plus épineuses pour la Commission des libertés individuelles et de l'égalité, (Colib), créée l'été dernier par le président afin de traduire dans la législation l'égalité inscrite dans la Constitution.
"Il y a une vraie volonté politique, et l'initiative du président a de bonnes chances d'être adoptée au Parlement", estime toutefois la présidente de la Colib, Bochra Belhaj Hmida.
Le code successoral tunisien, inspiré du droit islamique, prévoit qu'un homme reçoive le double d'une femme de même rang de parenté -une disposition commune à nombre de pays musulmans et souvent peu débattue.
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Au Maroc, une centaine d'intellectuels ont signé fin mars une pétition pour mettre fin à cette discrimination, mais l'opinion publique reste très partagée.
En Tunisie, les rares sondages laissent entendre qu'une majorité de personnes y est opposée.
Pourtant, nombre de familles appliquent déjà cette égalité dans les faits, par une donation du vivant des parents. Et, preuve que le débat public existe, plus de 1.500 personnes ont manifesté début mars à Tunis pour que cessent cette discrimination.
"C'est le moment"
"On ne peut pas attendre!, dit Mme Hmida. "Le rôle des politiques, c'est d'élever le niveau de conscience des citoyens. (...) C'est le moment."
Selon des observateurs, il existerait une opportunité avant la présidentielle et les législatives de 2019, étant donné la forte emprise qu'exerce M. Essebsi sur le pouvoir et le consensus forgé entre son parti Nidaa Tounès et les islamistes d'Ennahdha.
Chacun sait néanmoins que le sujet est sensible. La Colib a ainsi repoussé à juin la publication de ses propositions, afin d'éviter un télescopage avec les élections municipales de mai.
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Mme Hmida, député de Nidaa Tounès, explique ce volontarisme par le désir du président Essebsi de "laisser une trace importante dans l'Histoire", dans le sillage de son modèle Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante, qui a légué au pays le code du statut personnel (CSP).
Adopté en 1956, ce code avait accordé aux Tunisiennes des droits sans précédent dans le monde arabe -un féminisme d'Etat non sans contradictions et limites.
La commission n'a pas voulu dévoiler ses propositions, mais une précédente loi, jamais débattue, suggérait de faire de l'égalité un principe auquel les héritiers pourraient déroger avec le consentement de tous.
"Il y a des éléments politiques favorables à une réforme", confirme Sana Ben Achour, professeur de droit et féministe. "Mais ce n'est pas simple, cela touche au patrimoine qui s'est transmis ainsi depuis des milliers d'années."
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"Il y a un gros travail de pédagogie (...), il faut rallier les musulmans pratiquants" qui pensent que l'égalité est contraire au Coran, souligne-t-elle.
Outre l'héritage, la Colib devra proposer des aménagements au statut de chef de famille, aujourd'hui réservé aux hommes, ou encore de la transmission du nom et de la nationalité.
Elle se penche également sur les libertés individuelles, et sur les 2.500 textes qu'elle a identifiés comme anticonstitutionnels, dont le recours au test anal pour des homosexuels, ou l'incarcération pour "atteinte publique aux bonnes mœurs".
Avec AFP