L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a eu un effet de puissant accélérateur sur un processus qui semblait jusque-là très théorique. Quatre mois plus tard, les dirigeants des Vingt-Sept accordaient à l'Ukraine le statut de candidat à l'UE. Mais si son président ukrainien Volodymyr Zelensky avait immédiatement salué "une victoire" et un "moment historique", le chemin reste encore long.
A quelques jours d'un sommet Ukraine-UE chargé en symboles dans la capitale ukrainienne, Kiev veut maintenir la pression sur le bloc. "Nous avons des attentes fortes", a souligné le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba, qui souhaite entamer les négociations de pré-adhésion d'ici la fin de l'année 2023. "On ne peut se laisser barrer la route par des manoeuvres politiciennes", a-t-il mis en garde.
Dans un entretien à l'AFP, Mykhailo Podoliak, conseiller du président Zelensky, s'est lui dit persuadé qu'au sortir de la guerre, l'Europe offrirait "les délais les plus courts possibles pour une adhésion de l'Ukraine".
"Ce sera symbolique. Ce sera très important pour l'Europe avant tout", a-t-il martelé. "A mon avis, l'Ukraine sera différente après avoir gagné la guerre. Différente, y compris en termes de son importance pour l'Europe et de sa place en Europe".
Mais si le statut de candidat a été accordé dans des délais records, peu à Bruxelles croient que la suite ira aussi vite.
"Les attentes des Ukrainiens sont très élevées, mais (...) ils doivent remplir toutes les conditions pour ouvrir les négociations d'adhésion", rappelle un diplomate européen, soulignant qu'il est impossible d'avancer une date car cela dépendra des efforts engagés par les dirigeants ukrainiens. "Nous ne pouvons intégrer l'Ukraine telle qu'elle était avant la guerre. Nous avons besoin de réformes", martèle-t-il.
Bruxelles a défini sept premières étapes à franchir, centrées en particulier sur la lutte contre la corruption et le renforcement de l'Etat de droit.
Adhésion graduelle ?
Alors, quel calendrier réaliste envisager ? Soucieux de ne pas décourager les dirigeants ukrainiens avec un calendrier trop lointain, les dirigeants des 27 restent prudents. "Si on les fait attendre 25 ans, on va les perdre. Si on les fait entrer trop vite, on va se perdre", résume d'une formule ciselée un responsable européen.
"Si les négociations commencent en 2024, cela prendra 5 à 7 ans pour l'adhésion", estime André Haertel, du German Institute for International and Security Affairs. Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, juge "plus probable une période de 10 à 15 ans".
"L'UE va vivre sous pression avec l'insistance de Kiev et cela sera difficile à gérer, car il n'est pas question de laisser l'Ukraine doubler les Balkans", ajoute-t-il. L'Ukraine est un géant agricole de 40 millions d'habitants, "impossible à financer sans réformer la Politique agricole commune et les fonds de cohésion" qui absorbent l'essentiel du budget commun de l'UE, souligne-t-il encore.
André Haertel doute de l'ouverture des négociations d'adhésion cette année, mais estime que "quelque chose de concret devra être donné aux ukrainiens en 2023". Et l'idée, aux contours encore flous, d'une adhésion graduelle prend peu à peu forme à Bruxelles.
Elle permettrait au pays candidat d'avoir accès à certains programmes européens et de bénéficier des financements européens pendant les négociations, a expliqué le président du Conseil européen Charles Michel, partisan de cette formule. Le pendant sera la réversibilité du processus. Si le candidat fait marche arrière sur l'Etat de droit, certains avantages tirés de l'intégration pourraient lui être retirés, a-t-il indiqué.
Cette adhésion graduelle permettrait à l'Ukraine "de s'imposer sans forcer la porte de l'UE", note Sébastien Maillard. "Et la réversibilité est une solution pragmatique. Elle permet d'avancer et de maintenir la pression pour faire réaliser les réformes demandées".