Après trois décennies d'attente, les habitants de l'immense pays d'Afrique centrale, dont le nombre est estimé à environ 100 millions, veulent y croire, même si certains pensent que les autorités ont fait les choses à l'envers en leur délivrant d'abord des cartes d'électeurs.
De décembre à avril, les Congolais en âge de voter se sont fait "enrôler" (inscrire sur les listes électorales) dans des centres dédiés qui leur ont remis des cartes d'électeurs cartonnées recouvertes d'un film plastique, avec photo et QR code.
Beaucoup d'entre eux n'ayant pas de passeport, ni de carte professionnelle ou de permis de conduire, qui ne sont d'ailleurs plus délivrés eux non plus depuis plusieurs années, cette carte d'électeur est leur seul document d'identité.
Les anciens évoquent avec une pointe de nostalgie leur "carte d'identité pour citoyen" aux couleurs du drapeau zaïrois (fond vert et cercle jaune, avec une main tenant une torche aux flammes rouges), abrogée en 1997 après le renversement de Mobutu Sese Seko par l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) de Laurent-Désiré Kabila.
Celui-ci a rebaptisé en République démocratique du Congo le pays qu'il a dirigé jusqu'à son assassinat en 2001. Son fils, Joseph Kabila, lui a succédé et a été président pendant 18 ans, jusqu'aux élections prévues en 2016 mais repoussées jusque fin 2018, à l'issue desquelles l'actuel président, Félix Tshisekedi, a accédé au pouvoir.
Joseph Kabila avait souhaité un recensement en 2015 et créé pour cela l'Office national d'identification de la population (Onip). Mais l'opposition y avait vu une stratégie pour retarder les élections, des émeutes avaient suivi et le recensement n'avait pas eu lieu. La nouvelle équipe dirigeante a remis le projet en chantier.
"Congolité"
Pour réduire les coûts et les délais, le gouvernement annonçait début 2022 une "mutualisation" des activités de l'Onip, de la Commission électorale (Céni) et de l'Institut national de la statistique (INS) devant permettre l'enrôlement des électeurs et l'identification de la population.
En avril dernier, il prévoyait la délivrance de cartes d'identité à partir de juillet puis, le 8 juin, un protocole d'accord a été signé pour le transfert des données et du matériel de la Céni vers l'Onip et l'INS.
"Cela fait partie des promesses du chef de l'État", rappelle Dieudonné Mushagalusa, membre d'un panel d'experts de la société civile congolaise. Mais selon lui, "le procédé n'est pas logique, c'est plutôt la Céni qui devrait se référer à l'Onip et non l'inverse".
D'ailleurs, relève M. Mushagalusa, "la fiche d'enregistrement de la Céni ne contient que dix éléments, alors qu'on a besoin de plus d'informations pour la carte d'identité".
"Il faut commencer de la base au sommet, et non du sommet à la base comme cela est préconisé par le gouvernement", estime également Jean-Claude Likosi, professeur à l'Université catholique du Congo et spécialiste en communication politique et électorale.
Le financement suscite aussi des interrogations et des doutes sur la capacité du gouvernement à tenir sa promesse.
"Les dépenses sont orientées essentiellement vers l'organisation des élections de décembre et l'effort de guerre contre les différents groupes armés", note Dieudonné Mushagalusha. Sans compter les Jeux de la Francophonie prévus fin juillet.
Par ailleurs, la délivrance annoncée de la carte d'identité intervient alors qu'un débat sur la "congolité" agite de nouveau le pays à l'approche des élections, avec en suspens une proposition de loi visant à réserver les fonctions de souveraineté, notamment la présidence de la République, aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais.
"C'est l'occasion pour l'autorité de faire d'une pierre deux coups, en clarifiant définitivement la nationalité de plusieurs personnalités", estime Jean-Claude Likosi.
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