Il y a quelques jours, les quotidiens Stades et Sunu Lamb ont disparu des kiosques au Sénégal. Pour expliquer leur suspension (temporaire ?), le propriétaire des deux journaux, parmi les plus populaires du pays, évoque des raisons économiques. Une décision qui témoigne de la crise que traversent les médias sénégalais depuis plusieurs années.
Le symbole de cette tension économique reste le blocage des comptes de la quasi-totalité des entreprises de presse par l’Etat qui leur réclame des arriérés d’impôts. Ce qui a poussé les patrons à décréter une « journée sans presse » le mardi 13 août 2024.
Mais, ce conflit avec l’Etat sur la dette fiscale n’est que la partie visible de l’iceberg. "Dans la tête de tout le monde, l’unique problème est un problème de fiscalité alors que ce n’est pas ça. Le problème qui se pose est qu’aujourd’hui, de façon cumulée, il y a une sorte d’asphyxie des entreprises de presse, ça aussi, il faut le dire. Parce que pendant qu’on leur réclame des impôts, on arrête de leur payer leurs conventions, on exige d’eux qu’ils respectent la convention collective, la TDS leur demande de payer des redevances en un espace très court. Si vous étiez, vous et moi, un patron de presse, on se sentirait asphyxié. C’est ça la vérité", explique Ahmadou Bamba Kassé, secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de l’ communication (Synpics).
Un secteur marqué par la précarité des travailleurs
L’autre vérité, conséquence de la crise qui frappe le secteur de presse, c’est la précarité du métier de journaliste et de professionnel des médias au Sénégal. Syndicats et associations de presse ne cessent de rappeler aux patrons leurs obligations vis-à-vis du personnel qui fait fonctionner leurs entreprises. Des travailleurs qui déplorent à longueur d’année leurs mauvaises conditions de travail et leurs salaires dérisoires qui les font passer pour des miséreux. La Convention des jeunes reporters du Sénégal (CRJS) dresse d’ailleurs un tableau très sombre de la situation.
"En 2023, nous avons initié une étude et nous avons donné la parole à 216 travailleurs. Et les statistiques disent que 30% n’ont presque pas de contrat de travail et ceux qui ont des contrats n’arrivent pas à percevoir à temps leur salaire. Il y a d’autres également qui n’ont aucun contrat de travail, durant toute l’année, ils sont exploités par les entreprise de presse : pas de rémunération, pas de prise en charge médicales, pas de versement au niveau de l’IPRES pour ceux qui ont des contrats de travail", déplore le président de l’association Migui Marame Ndiaye.
Le modèle économique en question
Pour faire face à ces difficultés, les professionnels des médias en appellent au soutien de l’Etat. Ils demandent une augmentation de l’aide à la presse, au cœur d’une nouvelle polémique à la suite des chiffres révélés par le ministre de la Communication la semaine dernière. Mais, pour Mamadou Thior, membre de la Coordination des Associations de presse (Cap), le soutien de l’Etat seul ne peut suffire, les médias doivent se réinventer s’ils veulent survivre.
"Aujourd’hui, les problèmes du secteur sont multiformes et il faut s’arrêter. On let souvent l’accent sur le problème des impôts, mais, c’est assez minime par rapport aux autres problèmes. Le modèle économique, il faut s’interroger parce que le modèle économique qui opère au Sénégal n’est plus viable : vendre des quotidiens à 100 francs, la publicité qui est presque inexistante, c’est pourquoi on se demande d’ailleurs comment beaucoup de médias continuent à fonctionner au jour le jour", plaide-t-il.
Les acteurs des médias sont donc interpellés face aux grands défis qui les attendent car leur survie en dépend. La semaine dernière, le ministre de la Communication a exprimé la volonté de l’Etat à dialoguer avec les patrons de presse pour trouver des solutions afin de surmonter la crise que traverse le secteur. Une volonté dont se sont réjouis les acteurs des médias.
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