Wiltrid Mabiala porte bien son pantalon léopard. Souple et agile comme un félin, il se hisse au sommet d'une pyramide humaine, la tête en bas. Six mètres plus bas, le fin tapis de sol n'offre qu'une protection illusoire.
Car la troupe professionnelle du cirque de l'Équateur au Gabon, qui a représenté ce pays d'Afrique centrale dans les plus grands festivals internationaux jusqu'à la fin des années 2000, n'a plus les moyens d'assurer la sécurité de ses artistes.
Les tatamis partent en lambeaux, les longes de sécurité sont rompues et les filets pour les acrobates ont disparu. Faute de financement et de commandes de spectacles, la seule école de cirque du Gabon - et sa seule troupe - lutte pour sa survie.
"Le cirque, c'est du matériel de scène. Des trampolines, du matériel de jonglage, des diabolos. Tout ça nous manque. Alors qu'on a des spécialistes dans tous les domaines", soupire Séraphin Abessolo, 49 ans, l'aîné de la troupe avec près de 30 années passées au cirque.
Depuis le coronavirus, "plus personne ne nous appelle, ça fait presque neuf mois qu'on n'a pas fait de prestation. C'est très compliqué pour la troupe" et ses 47 artistes, se lamente-t-il.
Mais les difficultés sont bien antérieures à l'épidémie.
Cirque Bouglione 1994-1995, Festival de Shanghaï 1998-2000, Festival de Rome 2000: les pancartes rouges accrochées aux arbres rappellent l'âge d'or de la troupe qui parcourait le monde.
Formation gratuite
"Autrefois, nous avions plus d'une vingtaine de commandes par an. 2005 marque le début des difficultés. On a eu de moins en moins de contrats, les cirques ont demandé de nouveaux numéros, plus difficiles à mettre en œuvre, et nos moyens ont baissé", explique Maïk Mpoungou, le président de l'association.
En 2009, le ministère de la Culture arrête de verser sa modique subvention annuelle de 500.000 FCFA (750 euros). Le cercle vicieux s'enclenche. Sans moyen et sans matériel, le Cirque de l'Équateur ne peut répondre aux nouvelles exigences des grands chapiteaux.
D'autant qu'eux-mêmes souffrent aussi d'une baisse de fréquentation, des polémiques sur le bien-être animal et du coût exorbitant des tournées.
A Libreville, la capitale du Gabon, la troupe continue pourtant de s'entraîner dans un trou de verdure caché au coeur de la ville, un terrain attribué par le défunt président Omar Bongo à l'église catholique Saint-André, où travaillait le missionnaire et fondateur du cirque de l'Équateur, Jean-Yves Thegner, mort du Covid en mars dernier.
Le chant des oiseaux résonne toujours sous les manguiers et bananiers. Des enfants font leur apprentissage. Ils sautent, courent, dansent, font des acrobaties sur des vieux pneus abandonnés. A l'ombre d'un vieux parasol délavé, des anciens jouent aux échecs en jetant des regards distraits sur la nouvelle génération.
L'école du cirque forme gratuitement 19 "élèves-artistes" de 8 à 14 ans, principalement des jeunes du quartier.
"C'est bon ? Première figure !", crie leur formateur, Corneille Mba Edzang. "Tends les pieds ! Il faut contrôler la peur", conseille-t-il à un jeune qui a manqué une réception.
Petits métiers pour survivre
"Ce qui m'a attiré ici, c'est de faire des acrobaties", lance Brice, 12 ans, en "troisième année".
"Nous aussi, on a envie de voyager et d'intégrer la troupe des professionnels", ajoute Emmanuel.
Le lieu continue de vibrer au rythme des acrobaties. Pourtant, aux dires des anciens, le site a perdu de sa superbe. "A l'époque, c'était comme un petit village. Il y avait un petit tunnel en pierre à l'entrée, et quand tu en sortais, tu étais émerveillé", se rappelle Séraphin avec émotion. Depuis, le tunnel s'est effondré.
Dans les habitations de fortune où vivent une dizaine d'artistes professionnels, les murs se fissurent et s'effritent sous les effets de l'âge et de l'humidité. En saison des pluies, l'eau se répand dans les maisons aux toitures percées.
Aujourd'hui, le cirque supplie les sponsors et les autorités de les aider. "On a écrit au ministre et même au président de la République Ali Bongo Ondimba, mais rien n'y fait, on n'a jamais rien eu", regrette Maïk Mpoungou.
"L'objectif de l'école, c'est de récupérer les jeunes désœuvrés et de leur offrir une formation pour qu'ils deviennent des artistes aguerris, qu'ils puissent avoir des contrats, voyager et vivre de leur art", poursuit-il.
Certains se découragent et quittent l'aventure, d'autres gardent l'espoir, comme Mathieu Bikoubilou, un acrobate de 28 ans, dans la troupe depuis cinq ans.
"Aujourd'hui, je suis obligé de faire des petits métiers pour survivre. Mais notre rêve à tous est de représenter le Gabon à l'international. Alors je m'accroche, je travaille et je me dis que derrière toutes ces difficultés, le bonheur nous attend", glisse-t-il, un large sourire aux lèvres.