En signe de deuil pour les 16 personnes, dont une fillette de neuf ans, tuées dans les violences survenues entre l'annonce de la victoire de M. Kenyatta vendredi soir et samedi soir, M. Odinga a demandé à ses partisans de ne pas travailler lundi et d'attendre qu'il annonce sa stratégie mardi.
Le reste de la population de la capitale kényane Nairobi, qui avait des allures de ville morte depuis le scrutin du 8 août, a mis à profit ce répit pour commencer à reprendre une activité à peu près normale, les voitures faisant leur réapparition.
Kenneth Kiruja, un expert en informatique de 30 ans, est retourné à son bureau pour la première fois depuis l'élection. "La vie doit continuer. Nous avons eu les élections et nous avons choisi qui nous voulions", a-t-il dit à l'AFP.
Dans le bidonville de Kibera, un des hauts lieux de la contestation, de nombreuses personnes sont aussi retournées à leurs tâches quotidiennes, certaines échoppes ayant rouvert.
"Je suis triste que Raila n'ait pas gagné, mais qu'est-ce qu'on peut faire maintenant? C'est fini et on veut la paix", a confié Margaret, une coiffeuse de 62 ans. "Je suis venue travailler, parce que j'ai besoin de manger, mes enfants et mes petits enfants aussi".
Le chef de la police de Nairobi, Japheth Koome, s'est aussi voulu positif. "La situation est presque de retour à la normale. Les Kényans ont envie d'avancer et d'aider le pays", a-t-il estimé, affirmant que la sécurité prévalait dans la capitale.
Déjà dimanche, la tension avait baissé d'un cran dans les bidonvilles de Kibera, Mathare, et Kawangware, à Nairobi, ainsi que dans la ville de Kisumu (ouest), les fiefs de l'opposition qui avaient concentré l'essentiel des violences entre manifestants et policiers.
Des options limitées
Les violents affrontements en soirée à Mathare entre des membres de l'ethnie luo de M. Odinga et des partisans kikuyu du président Kenyatta, qui ont fait au moins deux blessés graves, avaient cependant rappelé combien la situation demeure précaire.
Avant cet incident, dont ont été témoins des photographes de l'AFP, M. Odinga avait rompu un silence de près de 48 heures en s'adressant à des milliers de supporteurs en liesse à Kibera et Mathare.
"Nous n'avons pas encore perdu. Nous n'abandonnerons pas. Attendez que j'annonce la marche à suivre après-demain" (mardi), avait-il déclaré sous les applaudissements nourris.
"Parce que Jubilee (le parti au pouvoir) a ses policiers et soldats partout, ne quittez pas vos maisons demain (lundi). N'allez pas au travail demain", avait-il ajouté, dénonçant à nouveau une élection "volée".
Ses options paraissent cependant limitées, la coalition d'opposition Nasa qu'il dirige ayant pour le moment écarté de saisir la Cour suprême, comme elle l'avait fait en 2013, en vain.
A moins qu'il ne cède aux pressions internationales et fasse marche arrière. L'ONU, l'Union européenne et Londres l'ont appelé à se tourner vers la justice.
La colère des partisans de l'opposition avait éclaté dès l'annonce de la victoire de M. Kenyatta, avec 54,27% des voix, contre 44,74% à M. Odinga, au terme d'un scrutin pourtant annoncé serré par les instituts de sondage.
La dernière bataille
L'opposition affirme que le score de M. Kenyatta est le fruit d'une manipulation du système électronique de transmission et de comptage des voix utilisé par la Commission électorale, et censé précisément prévenir les irrégularités.
Mais les missions d'observation internationales ont globalement salué la bonne tenue des élections. Et le groupe d'observateurs indépendants kényans ELOG, qui avait déployé 8.300 personnes sur le terrain, a publié des conclusions "cohérentes" avec les résultats officialisés par la Commission.
La police a nié que des manifestants pacifiques aient été tués. Elle a affirmé que ceux qui sont morts étaient armés et commettaient des actes criminels (viols, pillages), et s'en étaient pris à des policiers.
Mais ces incidents ont remis en lumière les vieilles rancoeurs inter-communautaires qui avaient nourri les violences post-électorales ayant fait plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés en 2007-2008, après la réélection de Mwai Kibaki, déjà contestée par M. Odinga.
Le contexte des élections diffère toutefois de celui d'il y a dix ans. Les violences sont pour l'instant circonscrites aux bastions de l'opposition et seule l'ethnie Luo semble par ailleurs se mobiliser.
Vendredi soir, M. Kenyatta, au pouvoir depuis 2013, avait appelé son rival à "travailler ensemble" pour "faire grandir ce pays".
M. Odinga, qui à 72 ans livre probablement sa dernière grande bataille après ses trois précédents échecs à la présidentielle (1997, 2007, 2013), n'a pas semblé disposé à saisir la main tendue, mais il a encore le temps de s'y résigner.
Avec AFP