Le sort semble s'acharner sur l'édifice, actuellement une sorte de verrue en béton. Il a été construit sur une "terre sacrée" et beaucoup y voient le signe que les esprits refusent sa profanation ou considèrent le cinéma comme un art démoniaque qui blasphème les valeurs traditionnelles.
Fortement soutenu par le gouvernement, le complexe du Fespaco au centre de Ouagadougou a été conçu par le célèbre architecte sénégalais Pierre Atepa Goudiaby avec un siège administratif, la cinémathèque africaine et la salle multifonction.
Si la cinémathèque et le siège ont vu le jour sans problème respectivement en 1993 et 2005, il en a été tout autrement pour le vaisseau amiral, qui devait comprendre l'amphithéâtre de projection principale, des salles d'atelier et de réunion ainsi que des galeries en escargot pour des expositions.
Le gros oeuvre a été terminé en 2007, et la charpente en bois a même été posée. Mais, le feu a ravagé le site. Coupable: un ouvrier responsable du goudronnage du toit. L'énorme incendie, visible à des kilomètres à la ronde, est resté dans les mémoires mais a surtout affecté les murs.
"Plusieurs entreprises se sont succédé pour tenter de réparer. A chaque fois, il y avait un événement: mort d'ouvrier sur le chantier, décès d'un chef d'entreprise, faillites. On est en Afrique, il n'en faut pas plus pour que les gens y voient le signe du surnaturel", se souvient un témoin.
Vivre avec les esprits
L'ancien délégué général du Fespaco Baba Hama, resté une quinzaine d'années à la tête du festival, balaie les superstitions : "Un mythe s'est dessiné. Hanté ? Je suis toujours vivant quand même ! Les autorités traditionnelles avaient donné leur accord. Il y a eu des cérémonies. On avait même délimité la parcelle en y laissant dehors un buisson sacré. De plus, si ce sont des questions de superstitions, on a toujours les autorités traditionnelles et en Afrique on a toujours l'antidote pour les esprits. Tout le monde était d'accord".
L'ancien délégué pointe surtout du doigt les problèmes administratifs et économiques: "Il fallait faire une enquête sur l'incendie, il y avait des problèmes d'assurance et surtout des problèmes budgétaires. Même s'il y a une volonté politique de tous les gouvernements qui se sont succédé, c'est difficile de dégager autant d'argent". L'Etat burkinabè restant l'unique bailleur des infrastructures du Fespaco et de l'organisation de chaque biennale.
Aujourd'hui, les murs de la superstructure sont là et l'accès à ce qui devait être la salle de projection est barrée par des pierres. Pourtant, des échoppes sont adossées aux murs et un bar occupe même une partie de la scène.
Les clients mangent et boivent en toute tranquillité. "On est au courant de l'histoire", affirme Osmond Tiendrébéogo, responsable de la Sodidbo qui commercialise une marque de bière, partenaire du festival. Il rigole et s'excuse quand même, histoire peut être de ne pas s'attirer les foudres des esprits: "On n'est pas concerné. On est juste là pour faire la fête".
Certains festivaliers et même des employées du Fespaco refusent toutefois d'entrer dans le bâtiment, sans donner de motifs.
Un autre bâtiment emblématique du Fespaco a ensuite été touché en 2014: l'hôtel Indépendance, lieu d'accueil privilégié des festivaliers, a été pillé et incendié en 2014 lors de l'insurrection populaire qui a chassé l'ancien président Blaise Compaoré après 27 ans au pouvoir.
Aujourd'hui, beaucoup de festivaliers estiment que le Fespaco a perdu un peu de son âme sans cet hôtel. Encore un coup des esprits, toujours en colère ?
"Les esprits on vit avec!", sourit l'actuel délégué général du Fespaco Ardiouma Soma. "Je suis optimiste quant à la réhabilitation prochaine à la fois de l'hôtel Indépendance et de la salle multifonction", assure-t-il en soulignant le soutien de l'Etat à ces projets et en évoquant le cinquantenaire du festival en 2019. Enfin une Happy End à ce mauvais film ?
Avec AFP