Produit par Oprah Winfrey et réunissant des personnalités allant de Denzel Washington à Morgan Freeman en passant par Barbra Streisand et Robert Redford, "Sidney" --qui sort vendredi-- vise à démontrer pourquoi ces accusations étaient injustes envers l'acteur, décédé en janvier à l'âge de 94 ans.
"La réalité est que, depuis l'invention du cinéma, il y a toujours eu ces images dégradantes des Noirs américains. Et Sidney Poitier à lui tout seul a détruit, film après film, ces images", explique à l'AFP Reginald Hudlin, le réalisateur de "Sidney".
Décrivant l'acteur qui a accédé à la gloire dans les années 1960 comme un "guerrier" sur les questions raciales, il explique: "Sans lui, vous ne m'avez pas, et vous n'avez pas non plus Oprah Winfrey ou Barack Obama".
Oprah Winfrey est d'ailleurs présente dans le documentaire puisque "Sidney" contient des entretiens que l'acteur a accordés à la présentatrice de télévision, des années avant sa mort.
Le film aborde aussi des sujets épineux comme la liaison extraconjugale de Sidney Poitier pendant son premier mariage avec Juanita Hardy. Un sujet qui peut fâcher les concernées mais qui n'a pas empêché Mme Hardy et les trois filles du couple de répondre aux questions du réalisateur pour le documentaire.
"Lorsque je me suis assis pour la première fois avec la famille pour discuter de la possibilité de réaliser ce film, j'ai demandé: +Y a-t-il quelque chose dont je ne peux pas parler?+ Et j'ai spécifiquement évoqué cet exemple", confie Hudlin.
"Elles m'ont répondu: +Non, non, non, nous voulons dire toute la vérité+. J'ai apprécié le geste et le fait qu'elles n'étaient pas juste là pour raconter ce que l'on sait déjà".
Le film évoque également des moments terrifiants de violence raciste vécus par l'acteur.
En 1964, Sidney Poitier et le chanteur Harry Belafonte avaient été poursuivis dans le Mississippi par des membres armés du Ku Klux Klan alors qu'ils livraient de l'argent à un mouvement de défense du droit de vote.
Une altercation antérieure avec le KKK, et une autre avec un policier blanc qui harcelait un Sidney Poitier adolescent sous la menace d'une arme, sont présentées dans le film comme des éléments déclencheurs dans son combat, souvent occulté, pour le mouvement américain des droits civiques.
"C'est ce qui est fascinant avec lui: il ne s'est jamais laissé briser, il n'a jamais sombré dans la rancoeur", explique Reginald Hudlin.
- Héros aseptisé -
Mais la partie la plus contestée de l'héritage de l'acteur reste sans doute le sobriquet d'"Oncle Tom" parfois lancé à son encontre -- une référence utilisée aux Etats-Unis et qui sous-entendait qu'il aurait été trop docile envers le public blanc et Hollywood.
Le documentaire évoque ainsi un article du New York Times daté de 1967 intitulé "Pourquoi l'Amérique blanche aime-t-elle tant Sidney Poitier?", et qui accuse l'acteur de "jouer essentiellement le même rôle", celui du héros aseptisé et sans relief.
Un "syndrome Sidney Poitier" est également décrit dans l'article, celui d'"un bon gars dans un monde de blancs, sans épouse, sans amoureuse, sans femme à aimer ou à embrasser, aidant l'homme blanc à résoudre le problème de l'homme blanc".
Trois ans plus tôt, il était devenu le premier acteur noir à remporter un Oscar pour "Le Lys des champs", dans lequel il joue un homme à tout faire itinérant, qui aide une communauté de religieuses blanches avec laquelle il finit par se lier d'amitié.
D'autres rôles, comme celui du mendiant dans "Porgy and Bess", ont été décrits comme racistes par certains critiques.
Selon Reginald Hudlin, les reproches "étaient une conséquence inévitable du travail qu'il faisait" et Poitier, qui "savait que cela allait arriver", était plus intéressé par le fait d'incarner à l'écran l'expérience afro-américaine.
"Je pense que maintenant, nous pouvons le regarder avec un recul historique plus large, et conclure que ces décisions prises par Sidney Poitier étaient justes et ont aidé le mouvement social à avancer", plaide-t-il.
Le documentaire souligne également la nature révolutionnaire du baiser de Sidney Poitier avec l'actrice blanche Katharine Houghton dans "Devine qui vient dîner", et de la scène de "Dans la chaleur de la nuit" où il gifle un aristocrate blanc du Sud des Etats-Unis.
"Il n'y avait aucun précédent à ce qu'il était et à ce qu'il faisait", conclut Reginald Hudlin.