Dans un message vocal posté sur Youtube, dont "la source de diffusion est très fiable", selon Yan St-Pierre, consultant en contre-terrorisme pour Modern Security Consulting Group (Mosecon), Abubakar Shekau affirme avoir été "trompé" et prend ses distances avec l'organisation mère.
Sa déclaration est une réponse à un entretien d'Abou Mosab Al Barnaoui, publié la veille dans l'hebdomadaire officiel de l'EI Al Nabaa, où Al Barnaoui était présenté comme "Wali (chef) de l'Afrique de l'Ouest", ne faisant aucune référence claire au sort de Shekau, chef reconnu du mouvement.
Abubakar Shekau a pris la tête de Boko Haram après l'exécution de son leader historique Mohammed Yusuf par les forces de l'ordre nigérianes en 2009, et a souvent été donné pour mort par l'armée. Dans sa dernière apparition vidéo, qui date de mars, Shekau paraissait affaibli, déclarant même: "Pour +moi+ la fin est venue".
Ce personnage "fantasque et un peu délirant", comme le décrit Romain Caillet, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient et spécialiste des questions de jihad, avait prêté allégeance à l'EI en mars 2015, rompant avec une doctrine du groupe traditionnellement plus proche d'Al-Qaïda.
Mais selon des experts, la violence extrême perpétrée par Boko Haram ces deux dernières années contre des populations en grande majorité musulmanes, les kidnappings de femmes et d'enfants, les attaques de mosquées, ont rapidement été désapprouvés par des membres de l'EI, créant des tensions.
L'insurrection menée par Boko Haram - et sa répression par les forces de l'ordre - ont fait au moins 20.000 morts et 2,6 millions de réfugiés dans le nord-est du Nigeria et les régions frontalières des pays voisins, autour du lac Tchad.
"Shekau ne faisait pas l'unanimité", explique M. Caillet à l'AFP. "Mais régulièrement, l'EI publiait des communiqués pour rappeler qu'il (Shekau) restait le Wali du groupe (nigérian), malgré les rumeurs" sur sa disparition.
Tensions au grand jour
Nouveau coup de théâtre jeudi avec ce message audio. Le message, dont la voix a été identifiée par un journaliste de l'AFP habitué aux déclarations du groupe, n'a pas encore été authentifié par les autorités.
Dans cette déclaration, Shekau menace de ne plus "les (l'EI, ndlr) suivre aveuglément", et affirme ne plus accepter "aucun émissaire (de l'EI), sauf ceux vraiment engagés dans la cause d'Allah".
Al Barnaoui, que les experts considéraient jusqu'alors comme le porte-parole de Boko Haram - notamment à cause de ses discours clairs et engagés sur les objectifs du califat d'Afrique de l'Ouest - n'avait jamais été reconnu comme tel par son leader Shekau, laissant présager des tensions, désormais exposées au grand jour.
"On voyait déjà d'un point de vue stratégique que le groupe était fortement divisé", analyse Yan St-Pierre. "Maintenant la division est publique et le linge sale n'est plus lavé en famille".
Même si la présidence nigériane avait annoncé en décembre dernier que Boko Haram était "techniquement vaincu" et que le groupe a perdu une large partie de ses fiefs dans le nord-est du Nigeria, la situation reste extrêmement préoccupante.
Les 2.6 millions de déplacés du conflit ne peuvent toujours pas rentrer chez eux. Fin juillet, Médecins sans frontières (MSF) a alerté sur "un désastre humanitaire" en cours dans la région du lac Tchad.
Aujourd'hui, Boko Haram est divisé en plusieurs groupes, certains proches de l'EI, d'autres d'Ansaru - faction dissidente de Boko Haram - et de la mouvance d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi).
"Boko Haram est moins en perte de vitesse que l'EI ne l'est en Irak", affirme Romain Caillet. "L'EI doit avoir un projet en Afrique s'ils veulent être un groupe jihadiste mondial", mais "dès le début, il y a eu des problèmes avec Shekau", relève-t-il.
Avec AFP