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Le parcours des Kouachi et de Coulibaly ouvre des failles


Chérif Kouachi (à g.) et Said Kouach (à dr.) (Photo Préfecture de Police de Paris)
Chérif Kouachi (à g.) et Said Kouach (à dr.) (Photo Préfecture de Police de Paris)

Le Premier ministre Manuel Valls a reconnu, après la mort de 17 personnes dans trois attaques distinctes, que quelque chose n'avait pas fonctionné.

PARIS (Reuters) - A mesure que se précisent les parcours des auteurs des attentats qui ont ensanglanté la France trois jours durant, les questions se multiplient sur les failles qui ont contribué à laisser le champ libre à une entreprise djihadiste inédite dans le pays.

Les autorités affirment avoir déjoué plusieurs attentats ces dernières semaines. Mais le Premier ministre Manuel Valls a reconnu, après la mort de 17 personnes dans trois attaques distinctes, que quelque chose n'avait pas fonctionné.

"Nous faisons tout pour lutter contre le terrorisme et, bien sûr, il y a toujours des failles dans lesquelles se glissent les terroristes", a dit Manuel Valls samedi à Evry (Essonne), lors d'une cérémonie de voeux.

"Nous avons beaucoup modernisé nos services de renseignement, nos forces de l'ordre. Il faudra continuer parce qu'il faut effectivement tirer des leçons de ce qui vient de se passer", a ajouté le chef du gouvernement qui a récemment fait voter une nouvelle loi antiterroriste.

Les leçons sont d'abord à tirer d'un constat : identifiés comme suspects ou précédemment condamnés, ni les frères Chérif et Saïd Kouachi ni Amedy Coulibaly, qui ont été abattus vendredi les armes à la main, n'ont pu être arrêtés avant d'assassiner 17 personnes à Paris et Montrouge cette semaine.

Les deux premiers, auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo mercredi, étaient connus depuis de nombreuses années des services de renseignement français et américains.

AL QAÏDA AU YÉMEN

Chérif, 32 ans, avait été interpellé en 2005 alors qu'il s'apprêtait à partir en Irak pour y combattre. Le procureur de Paris, François Molins, a confirmé vendredi qu'il avait effectué en 2011 un séjour au Yémen, bastion d'Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa).

Des contacts ou proches de Chérif Kouachi seraient encore au Yémen à ce jour, a encore dit le magistrat. Son frère aîné Saïd, plus discret aux dires de sources européennes et américaines, s'était également rendu au Yémen en 2011 pour s'entraîner avec des islamiques liés à Aqpa.

Interrogé vendredi au téléphone par BFM TV alors qu'il était cerné avec son frère par les forces de l'ordre, Chérif Kouachi s'est dit envoyé par Aqpa pour mener son action contre Charlie Hebdo, coupable d'avoir publié des caricatures du prophète.

Les deux hommes étaient inscrits dans deux bases de données américaines et considérés comme des suspects à surveiller en priorité, dit-on encore, mais les autorités françaises auraient fini par relâcher leur vigilance faute d'éléments nouveaux.

Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a expliqué jeudi que les deux frères avaient fait l'objet d'une surveillance mais qu'"aucun élément incriminant susceptible d'entraîner l'ouverture d'une enquête judiciaire n'avait été révélé à l'époque à leur encontre".

La surveillance des suspects demeure, à entendre plusieurs spécialistes, un élément des plus délicats à mettre en oeuvre.

Il y a quelques mois, le juge Marc Trévidic disait, au moment d'évoquer les retours de jeunes gens partis en Syrie ou en Irak pour y faire le djihad ou apprendre à combattre, qu'il était "impossible de suivre autant de monde".

DE 5.000 PERSONNES À 50

Bernard Squarcini, ancien directeur général du renseignement intérieur, évoquait jeudi sur France 2 quelque 5.000 personnes ayant "attiré l'attention des services". Or, ajoutait-il, "la surveillance d'un objectif opérationnel, c'est 25 fonctionnaires par jour".

Il rappelait la nécessité d'établir des priorités. "On peut établir entre 50 et 100 les gens qui peuvent à un moment passer à l'acte", disait-il. "C'est dans ce terreau qu'on est obligés de travailler."

Sa réflexion amène une autre question. Comment les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, meurtrier d'une policière jeudi à Montrouge et de quatre otages vendredi dans une supérette casher de Paris, n'ont-ils pas figuré parmi cette centaine de cibles ?

Les trois hommes étaient membres de la filière dite des "Buttes-Chaumont", où Chérif Kouachi aura le premier l'idée de partir faire le djihad, avant d'être interpellé, en 2005.

Amedy Coulibaly a appelé vendredi BFM TV qu'il avait "synchronisé" ses actions avec celles des Kouachi.

Ils étaient aussi des disciples de Djamel Beghal, condamné à dix ans de prison pour un projet d'attentat contre l'ambassade des Etats-Unis en France, en 2001, et que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly ont rencontré à la prison de Fleury-Mérogis.

Selon des écoutes téléphoniques citées par Le Monde samedi et datant de 2010 voire plus tard, leurs liens ne se distendent jamais à partir de 2005.

Ces relations paraissent en faire des suspects tout désignés pour une surveillance. D'autres informations qu'il n'a pas été possible de faire confirmer, renforcent cette idée.

Selon l'Express, Chérif Kouachi était sous contrôle judiciaire lorsqu'il s'est rendu au Yémen en 2011, visé alors par une enquête sur la tentative d'évasion de Smaïn Ait Ali Belkacem, condamné à perpétuité pour l'attentat du RER C du 17 octobre 1995.

CINQ ANS DE PRISON, SIX MOIS EFFECTUÉS

Amedy Coulibaly, lui, est l'un des prévenus jugés en 2013 pour sa participation à cette tentative d'évasion. Or, condamné à cinq ans de prison en décembre, il en sort en mai 2014, selon Le Monde. Se pose ici la question de la prise en compte du passé judiciaire et de la durée des peines effectives.

Car Amedy Coulibaly avait été condamné à six ans de prison par un tribunal des mineurs pour un braquage commis en 2002, écrit Le Monde, et compte de multiples autres condamnations pour vols, trafic de stupéfiants ou recel.

Enfin, le quotidien souligne que, lors de l'enquête qui lui vaudra une peine en 2013, les policiers avaient découvert à son domicile un lot de 240 cartouches destinées à des Kalachnikov.

Ceci renvoie à "l'arsenal de guerre" dont disposait cette semaine les trois hommes ayant semé la terreur à Paris et dans ses environs : armes de guerre, armes automatiques, explosifs et même un lance-roquettes pour les frères Kouachi.

Si les policiers dénoncent de longue date la généralisation du recours aux armes de type Kalachnikov chez les délinquants et criminels, une interrogation se fait jour sur la capacité de ces trois hommes à procurer un tel matériel.

Le criminologue Alain Bauer suggère samedi dans Le Parisien que la première faille vient de l'incapacité des services à recouper leurs informations. "Cette affaire a montré la qualité de la collecte faite par les services", dit-il.

"La difficulté, c'est l'analyse des données", ajoute-t-il, faisant écho aux réflexions des agences antiterroristes, en Europe comme aux Etats-Unis, où l'afflux d'informations est tout aussi essentiel que délicate à gérer.

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