L'Union européenne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont exprimé leur préoccupation à propos de la suspension du juge Walter Onnoghen qui, en tant que président de la Cour suprême, aurait été amené à se prononcer dans les contentieux relatifs aux élections du 16 février. Les Nigérians voteront ce jour-là pour choisir leurs président et parlementaires.
M. Onnoghen est poursuivi depuis une dizaine de jours devant le Tribunal du code de conduite, un tribunal créé spécialement pour juger les questions éthiques, pour ne pas avoir déclaré plusieurs comptes bancaires en dollars, euros et livres sterling.
Mais le moment choisi pour ces accusations et la manière dont il a été limogé ont suscité la consternation.
Dans un communiqué samedi soir, la présidence du Nigeria a déclaré être déterminée à assurer la tenue d'élections libres et justes, mais qu'elle ne tolèrerait aucune ingérence dans les affaires intérieures du pays.
"Le Nigeria se réserve le droit d'être préservé des suggestions ou interférences concernant des affaires pleinement internes", a déclaré le porte-parole de la présidence Garba Shehu.
Le président Buhari, un ancien général de 76 ans, qui brigue un deuxième mandat, est accusé d'excès de pouvoir pour avoir contourné le Parlement auquel il appartient, selon la Constitution, d'autoriser une telle mesure.
M. Onnoghen était sur le point de faire prêter serment aux juges des tribunaux électoraux. C'est son remplaçant, Ibrahim Muhammad Tanko, nommé président par intérim, qui a présidé la cérémonie samedi.
La mission des observateurs électoraux de l'Union européenne (UE) a appelé "toutes les parties à suivre les procédures légales prévues dans la Constitution et à réagir calmement aux préoccupations qu'elles pourraient avoir".
L'ambassade des Etats-Unis à Abuja s'est déclarée "profondément préoccupée" par le fait que M. Onnoghen ait été remplacé "sans le soutien du pouvoir législatif".
La Haute Commission (ambassade) de Grande-Bretagne a également exprimé "sa sérieuse préoccupation". "Le moment choisi pour cette mesure, si près d'élections nationales (...) risque d'affecter les perceptions nationale et internationale de la crédibilité des élections à venir".
Londres et Washington avaient averti cette semaine que quiconque serait impliqué dans des fraudes ou des violences électorales en subirait les conséquences, y compris en matière de visas.
- "Tentative de coup" -
Le président Buhari, du Congrès des progressistes (APC), élu en 2015 sur la promesse de mettre un terme à la corruption, était en campagne dans le sud-ouest du Nigeria samedi.
Son principal rival, Atiku Abubakar, 72 ans, du Parti Populaire Démocratique (PDP), a en revanche suspendu sa campagne durant 72 heures en signe de protestation contre la suspension du juge Onnoghen.
Vendredi, il avait qualifié cette mesure d'"acte digne d'une dictature (...), antidémocratique", en référence au passé militaire du président Buhari et à son exercice autoritaire du pouvoir dans les années 80.
Usant d'un langage similaire, l'Association du barreau nigérian (NBA), a dénoncé "une tentative de coup contre le pouvoir judiciaire nigérian".
Pour le journal indépendant Punch, la décision de Buhari pourrait déclencher "une crise constitutionnelle inutile et, peut-être, faire dérailler 20 ans consécutifs de gouvernement démocratique".
Le Nigeria avait renoué avec un régime civil en 1999, après des décennies de gouvernements militaires.
Le président Buhari a été accusé dans le passé d'utiliser l'appareil sécuritaire d'Etat contre des opposants politiques membres du PDP mais d'être moins prompt à agir contre des membres de son propre parti.
Le porte-parole du président Buhari a affirmé à propos de la suspension du juge Onnoghen que le chef de l'Etat a agi "sur ordre du Tribunal du code de conduite".
Selon la Constitution nigériane, le président ne peut renvoyer le plus haut magistrat qu'avec l'approbation des 2/3 du Sénat.
Des organisations de la société civile ont appelé à une réunion d'urgence du Parlement pour apporter une "réponse législative" à la situation.
Mais elle provoquerait sans doute une nouvelle confrontation entre le législatif et l'exécutif, le leader du Sénat Bukola Saraki étant l'un des principaux opposants au président Buhari.