L'écrivain qui vit en exil à Londres publie mercredi "China Dream" (Flammarion), roman dédié à George Orwell "qui avait tout prédit" et satire féroce du régime de Xi Jinping.
Comme les précédents livres de Ma Jian, écrivain salué notamment par le prix Nobel Gao Xingjian, son nouveau roman est interdit en Chine. Le nom même de Ma Jian est rayé des listes officielles des écrivains chinois et ne peut être mentionné dans la presse.
"China Dream" (traduit de l'anglais par Laurent Barucq) fait référence au slogan du président chinois sur le "rêve chinois" de "grande renaissance" de la nation chinoise.
"J'ai écrit ce livre motivé par ma colère contre les fausses utopies qui asservissent et infantilisent la Chine depuis 1949" (date de l'arrivée au pouvoir des communistes, ndlr), a expliqué l'écrivain rencontré récemment à Paris par des journalistes de l'AFP.
"La dystopie d'Orwell est le présent de la Chine", estime le romancier né en 1953 (comme Xi Jinping) et qui a été le témoin des violences de masse durant la Révolution culturelle.
Son protagoniste, Ma Daode, fonctionnaire du Parti en charge du "Bureau du rêve chinois", travaille pour effacer des esprits chinois "tous les rêves et souvenirs privés". Le problème est qu'il est lui-même hanté par des cauchemars récurrents du temps de la Révolution culturelle...
"Alors qu'il est chargé de laver le cerveau des autres, il doit lui-même se laver le cerveau", s'amuse Ma Jian. "Tous les régimes totalitaires reposent sur le contrôle rigide de la liberté de pensée et d’expression, la négation du passé et de l’avenir. Big Brother n'est pas différent de +papa+ Xi", explique l'écrivain.
- Les gilets jaunes un signe de "bonne santé" -
"Le rêve chinois n'est qu'un beau mensonge de plus concocté par l’État pour effacer les souvenirs douloureux des cerveaux de ses citoyens et les remplacer par des pensées joyeuses", dit-il.
En Chine, poursuit-il, "la seule histoire autorisée est celle écrite par le Parti". "L'histoire de la Chine après 1949 a été expurgée de ses heures sombres, réduite à un conte de fée joyeux et anodin".
"Pour cette raison, mon livre est terrifiant" pour les dirigeants chinois, soutient l'écrivain, arrêté en 1983 pour "pollution spirituelle" et contraint ensuite à l'exil intérieur avant de parvenir à rejoindre Hong Kong (en 1987) puis Londres.
"Derrière le slogan creux de +Rêve chinois+ se cache une histoire de massacres, de territoires et de mots interdits. Des événements tels que le massacre de Tiananmen (objet du roman "Beijing coma", ndlr) ou la Révolution culturelle ne peuvent être mentionnés", s'insurge Ma Jian qui dénonce un pouvoir "amoral, corrompu et immoral".
"Les gens ont fini par gober que le miracle économique national était dû aux chefs du Parti et non aux légions de travailleurs sous-payés... Le consumérisme frénétique transforme les citoyens en enfants attardés, nourris, vêtus et divertis, mais sans aucun droit de se remémorer le passé ni de poser des questions".
"Ces manifestations (de "gilets jaunes") que vous voyez en France sont le signe d'une société en bonne santé", assure l'écrivain. "À Hong Kong, cela se produisait tous les deux ou trois mois, mais maintenant, leurs organisateurs comme ceux de la +révolution des parapluies+ (manifestations pro-démocratie en 2014), ont été condamnés à des années de prison".
"L’Occident ne peut pas marcher les yeux fermés en supposant avoir affaire à des gens normaux", met en garde le romancier. "Le rôle de l'écrivain", écrit-il dans la préface de son roman, "consiste à sonder les ténèbres et, par-dessus tout, à dire la vérité".