"J'ai été très impressionné par tout le travail accompli par l'Arabie saoudite dans l'aide aux évacués, en mettant sa marine à la disposition des personnes fuyant" le Soudan, a déclaré Cameron Hudson, du Centre d'études stratégiques et internationales. "C'est l'occasion (pour Ryad) de soigner sa réputation à quelques centaines de kilomètres du Yémen, où certains de ses pires agissements ont été commis", a ajouté M. Hudson, en référence à la guerre dans laquelle une coalition militaire dirigée depuis 2015 par l'Arabie saoudite a fait des milliers de victimes civiles dans des frappes aériennes.
Certains experts avertissent cependant que les évacuations du Soudan risquent d'éclipser le rôle complexe que l'Arabie saoudite et d'autres puissances extérieures jouent dans ce pays, où deux généraux auteurs du putsch de 2021 se livrent depuis le 15 avril une guerre sans merci.
L'Arabie saoudite se positionne en tant que médiateur dans le conflit soudanais, s'appuyant sur ses liens avec les deux généraux rivaux, le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhane, et le chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdane Daglo, liens qui découlent en partie de leur implication dans la guerre au Yémen, souligne M. Hudson.
Le Soudan fait partie de la coalition menée par Ryad au Yémen et, selon des observateurs, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis y ont largement utilisé des combattants soudanais issus à la fois de l'armée et des FSR. Si Ryad entretient des relations avec les deux généraux soudanais, d'autres acteurs du Moyen-Orient ont choisi leur camp, l'Egypte étant du côté du général Burhane tandis que les Emirats arabes unis, alliés de Ryad au Yémen, soutiennent le général Daglo, selon des experts.
"Main tendue"
Pour Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory, basé à Khartoum, les combats qui ont fait des centaines de morts et des milliers de blessés jusqu'ici, résultent en partie de la "main tendue" à la fois au chef de l'armée et à celui des paramilitaires, alors que la communauté internationale aurait dû insister sur de véritables réformes au Soudan. "Se concentrer sur les évacuations plutôt que sur la façon dont nous en sommes arrivés là constitue un répit momentané pour la communauté internationale. C'est comme si les efforts d'évacuation étaient la seule histoire", a déclaré Mme Khair.
C'est en tout cas l'impression que donnent ces jours-ci les médias saoudiens. Les chaînes publiques ont filmé les évacués débarquant dans la ville portuaire de Jeddah, souvent avec un drapeau saoudien à la main, et interviewé des diplomates vantant la rapidité de la mobilisation de la marine saoudienne. Ryad semble vouloir bénéficier de la même bienveillance que le Qatar il y a deux ans, quand le petit Etat du Golfe a accueilli des dizaines de milliers de civils fuyant l'Afghanistan au moment du retour au pouvoir des talibans, estime l'analyste saoudien Aziz Alsghashian.
Mme Khair, qui était la semaine dernière à Port-Soudan, entourée de milliers de personnes cherchant désespérément à fuir, a décrit une situation chaotique dans un environnement fortement sécurisé, où des personnes traumatisées attendent des heures, voire des jours, pour savoir si elles vont être autorisées à traverser la mer Rouge, ce qui peut prendre jusqu'à 20 heures. Cependant, dit-elle, les Saoudiens étaient "les seuls sur place à prendre leurs responsabilités en offrant un itinéraire sûr, même s'il est terni par la politique".
Dimanche, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal ben Farhane, a rencontré un émissaire du général Burhane, et les autorités saoudiennes ont demandé la tenue d'une réunion d'urgence de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), qui devrait avoir lieu mercredi. Cette démarche s'inscrit dans le cadre d'un récent effort de pacification dans la région, qui a vu l'Arabie saoudite rétablir ses liens avec l'Iran et la Syrie.