Les Burkinabè entamaient ce jeudi un deuil national de trois jours après le carnage perpétré mercredi contre un convoi d'employés de la mine d'or de Boungou, dans l'est du Burkina, attribué par le président Roch Marc Christian Kaboré à des "terroristes", c'est-à-dire des djihadistes.
Il s'agit de l'attaque la plus meurtrière qu'a connue le Burkina depuis le début de la spirale de violences djihadistes il y a près de cinq ans.
"Les mines continuent de travailler, mais cela va avoir des répercussions sur l'activité", "il y a une sorte de psychose qui se développe", juge un haut responsable gouvernemental, s'exprimant sous couvert d'anonymat.
La société minière canadienne Semafo, qui exploite la mine de Boungou depuis septembre 2018, a annoncé jeudi "la suspension des opérations" jusqu'à nouvel ordre, "par respect pour les victimes et leurs proches".
L'or est devenu en une douzaine d'années un secteur économique stratégique pour le Burkina Faso, pays pauvre de 20 millions d'habitants, enclavé en Afrique de l'Ouest, dont le principal produit d'exportation était auparavant le coton.
De 0,40 tonne en 2007, la production d'or est passée à plus de 52 tonnes en 2018, selon la Chambre des mines burkinabè. Douze mines industrielles étaient en exploitation fin 2018 et quatre autres devraient ouvrir à court terme.
Le secteur a contribué en 2018 pour 11,4% au produit intérieur brut (PIB), avec 1.540 milliards de francs CFA de recettes d'exportation (2,6 milliards d'euros), et généré 266 milliards de FCFA (450 millions d'euros) de recettes budgétaires, selon le ministère des Mines.
Le secteur aurifère officiel compte 9.200 emplois directs et 26.100 emplois indirects. Mais le sous-secteur artisanal, aussi appelé orpaillage, emploie 1,5 million de personnes, et génère une production annuelle supplémentaire d'environ 10 tonnes d'or, selon le ministère des Mines.
Et encore le potentiel aurifère du Burkina, comme d'ailleurs celui de la Côte d'Ivoire, du Ghana (deuxième producteur africain derrière l'Afrique du Sud) et du Mali sont-ils sous exploités, selon les compagnies minières, qui ont investi 5 milliards de dollars dans l'exploration dans la région ces dix dernières années, selon les chiffres divulgués lors d'un forum minier international à Abidjan fin 2018.
- Inquiétude pour les investisseurs -
En s'attaquant de manière répétée au secteur aurifère, les groupes jihadistes tentent de frapper l'Etat burkinabè au portefeuille.
L'embuscade de mercredi était la troisième contre des employés de la mine de Boungou. Deux autres attaques avaient fait 11 morts au total, en août et décembre 2018, principalement des membres des forces de l'ordre qui escortaient les convois.
Depuis deux ans, le secteur minier a enregistré au moins une dizaine d'attaques ayant occasionné des décès, des blessés ou des dégâts matériels.
"Il est plus facile de monter des embuscades contre des convois que d'attaquer les mines qui sont relativement bien protégées", explique un responsable d'une compagnie aurifère, sous couvert d'anonymat.
Les cadres expatriés sont également visés par des kidnappings.
En janvier 2019, un géologue canadien a été enlevé sur le site de Tiabangou, dans l'est du Burkina, puis tué par ses ravisseurs. En septembre 2018, un Indien et un Sud-Africain ont été enlevés sur la mine d'or d'Inata (nord). Et un Roumain qui travaillait pour l'énorme mine de manganèse de Tambao (nord) est toujours détenu par des djihadistes depuis son enlèvement en avril 2015.
"Même si les sites miniers ne sont pas directement visés par les attaques, ça va créer de l'inquiétude pour les investisseurs. Ils vont hésiter à miser sur de nouveaux projets", estime le responsable d'une compagnie aurifère.
"Les investissements dans le secteur minier sont lourds, c'est en centaines de millions de dollars. Les investisseurs ne sont pas prêts à prendre des risques s'il n'y a pas la sécurité dans le pays".
"L'autre problème, c'est que cette insécurité fait fuir les expatriés. Or les compagnies minières ont du mal à attirer des expatriés qualifiés" en Afrique de l'Ouest, ajoute-t-il.
Selon un fournisseur d'équipements du secteur, "les groupes miniers ont beaucoup réduit leurs activités d'exploration au Burkina, parce qu'ils ne peuvent plus y travailler normalement. Il y aura des répercussions sur la production à long terme".