"La situation est quand même très catastrophique", affirme d'un air sombre le Dr Diop, les traits tirés alors qu'il ne fait qu'entamer son service de nuit de 12 heures.
A Fann, hôpital de référence proche de l'université, au coeur d'une capitale de plus de trois millions d'habitants, les ambulances amènent des patients au souffle court, venant souvent d'autres hôpitaux.
Plus souvent qu'à leur tour, le Dr Diop est obligé de les renvoyer, par manque d'oxygène.
"On refuse, pas parce qu'on ne veut pas les prendre, mais on n'a pas d'endroit où les mettre pour les prendre en charge. Vous imaginez, on reçoit des malades qui meurent au niveau de la grande porte, ou qui viennent à l'agonie. Parfois même, le médecin, il a les larmes aux yeux", explique-t-il à l'AFP.
Relativement épargné pendant longtemps par la pandémie, le Sénégal, un pays de plus de 16 millions d'habitants, a recensé au total plus de 60.000 contaminations, pour plus de 1.300 décès.
Mais comme le reste de l'Afrique, il subit une troisième vague sans précédent, due au variant Delta. Onze décès ont été enregistrés mercredi et 57 cas graves sont actuellement pris en charge en service de réanimation, selon le ministère de la Santé.
Les hôpitaux de la capitale, en particulier, sont "proches de la saturation" et le personnel "en burn out", avait averti la semaine dernière le directeur national des établissements publics de Santé, Ousmane Dia.
- "Bombe à retardement" -
A l'hôpital de Fann, le service des urgences dispose de 16 lits équipés d'oxygène. Ils sont tous occupés.
Le Dr Diop explique qu'il a dû refuser une vingtaine de malades ces derniers jours, qui n'ont pas eu d'autre choix que de tenter leur chance dans un autre établissement ou de rentrer chez eux.
Le nombre de décès dus au Covid-19 au Sénégal est sous-évalué, selon le jeune médecin, qui souligne qu'"il y a plus de malades qui désaturent (connaissent une chute de leur niveau de saturation en oxygène, NDLR) à la maison qu'à l'hôpital".
"Ce variant est une bombe à retardement. On s'en remet maintenant à la prière", ajoute le Dr Diop.
Sur l'ensemble du pays, les contaminations sont passées de quelques dizaines par jour à la fin du mois de juin à un pic de 1.700 en juillet. Jeudi, près de 900 nouveaux cas ont encore été annoncés.
"Les sujets jeunes sont de plus en plus atteints", souligne Macodou Mbodji, médecin-coordinateur du service de réanimation des patients Covid à l'hôpital Idrissa Pouye, également à Dakar.
Son établissement ne manque pas d'oxygène, car il possède sa propre unité de production. Mais les neuf lits en réanimation, réservés aux cas les plus graves, sont occupés. Le taux de mortalité y est d'environ 33%.
Effet Tabaski
Sans se départir de son ton posé, presque jovial, le Dr Mdodji estime que "l'on ne peut pas dire que c'est sous contrôle". "La situation risque même d'être catastrophique dans les prochaines jours", assure-t-il.
Il y a une dizaine de jours, les rues de Dakar se sont vidées à l'occasion de la Tabaski, la fête de l'Aïd, que la plupart des habitants de la capitale sont allés fêter en province.
Les professionnels de la santé craignent qu'un "effet Tabaski", avec une hausse encore plus forte du nombre de malades due à ces vastes mouvement de populations, se fasse sentir dès la semaine prochaine.
Pendant ce temps, la vaccination s'accélère. D'environ 3.000 par jour, le nombre de doses administrées est passé à 38.000 mercredi, grâce à de nouvelles livraisons de vaccins Sinopharm et Johnson & Johnson. Mais seulement un peu plus de 700.000 personnes ont jusqu'ici été vaccinées.
"Nous savons que la situation est difficile et très préoccupante. Il faut que les populations aillent se faire vacciner. En regardant les statistiques, on voit que 98% des décès sont des personnes non vaccinées", note le patron des établissements publics de Santé, Ousmane Dia.