Dans un communiqué daté de mercredi et publié jeudi matin, le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga "rejette catégoriquement ces fausses allégations contre les vaillantes FAMa", les forces armées maliennes. Le gouvernement "engage une procédure (...) pour suspendre jusqu'à nouvel ordre la diffusion de RFI (...) et France 24", annonce le communiqué.
A Paris, le ministère des Affaires étrangères a dénoncé des "atteintes graves à la liberté de la presse" au Mali et s'est dit inquiet quant "aux graves allégations d'exactions qui auraient été commises dans le centre du pays, qui ont été documentées de manière indépendante".
La décision malienne de sanctionner RFI et France 24, deux médias publiques français, intervient dans un contexte d'hostilité vis-à-vis de la France, l'ancienne puissance coloniale, dont l'ambassadeur a été expulsé fin janvier. Le 18 février, Paris avait annoncé son retrait militaire du Mali après neuf ans de lutte antijihadiste, poussée dehors par les "obstructions" de la junte malienne.
Jeudi à la mi-journée, RFI avait cessé ses émissions, mais France 24 continuait d'émettre, selon des correspondants de l'AFP.
Dans un communiqué, France Médias Monde, maison mère de RFI et France 24, "déplore" la décision malienne et "proteste vivement contre les accusations infondées". La société française "étudiera toutes les voies de recours pour qu'une telle décision ne soit pas mise en œuvre".
Contrôle plus strict
De son côté, une porte-parole de la diplomatie de l'Union européenne, Nabila Massrali, a jugé la décision de Bamako "inacceptable", évoquant des "accusations infondées".
Une telle suspension de deux grands médias d'information étrangers n'a pas de précédent récent au Mali, plongé depuis 2012 dans une grave crise sécuritaire et politique. RFI et France 24, qui couvrent de près l'actualité africaine, sont très suivies au Mali et dans toute l'Afrique francophone.
Selon France Média Monde, les deux médias sont "suivis chaque semaine par plus d'un tiers de la population" malienne. La junte malienne a signalé ses derniers mois son intention d'exercer un contrôle plus strict sur les médias étrangers. Le 8 février, Bamako avait expulsé un envoyé spécial du média français "Jeune Afrique".
Pour motiver sa décision jeudi, le gouvernement malien fait référence à un reportage diffusé les 14 et 15 mars par RFI, dans lequel la radio a donné la parole à des victimes présumées d'exactions qui auraient été commises par l'armée malienne et le groupe de sécurité privé russe Wagner.
Le communiqué fustige également une déclaration de Michèle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme le 8 mars, dénonçant des "violations du droit international, des droits de l'Homme et du droit humanitaire" au Mali.
Le Mali déplore aussi un rapport de l'ONG Human Rights Watch (HRW) publié le 15 mars et qui dénonçait une "vague d'exécutions de civils" par l'armée malienne et les jihadistes dans le centre et le sud-ouest du Mali. Ce rapport faisait état d'"au moins 107 morts civils" depuis le mois de décembre.
Rediffusion interdite
Selon HRW, ces exactions auraient été commises par les FAMa en représailles à des pertes militaires infligées par des groupes jihadistes dans divers incidents. Les forces de sécurité maliennes, dont des centaines de membres ont été tués au Mali depuis le début des troubles en 2012, sont régulièrement accusées d'exactions.
La junte arrivée au pouvoir par la force en 2020 rejette systématiquement ces accusations et répète que les FAMa "respectent les droits de l'Homme".
Dans son communiqué, le colonel Maïga ajoute que le gouvernement "interdit" aux médias maliens "la rediffusion et/ou la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24". Les médias maliens répercutent abondamment les informations de ces médias.
Le colonel Maïga estime que "les agissements de RFI et France 24" ressemblent "aux pratiques et au rôle tristement célèbre de la radio +Mille Collines+", qui avait encouragé le génocide au Rwanda en 1994. Le Mali, pays pauvre et enclavé au coeur du Sahel, a été le théâtre de deux coups d'Etat militaires en août 2020 et en mai 2021.
La junte militaire au pouvoir est revenue sur son engagement d'organiser des élections rapides pour le retour des civils au pouvoir, s'attirant de lourdes sanctions économiques et diplomatiques le 9 janvier de la part de la communauté des Etats ouest-africains (Cédéao).