L'empreinte du maréchal Mobutu est à première vue invisible dans l'actuelle République démocratique du Congo, où une grande partie des habitants n'était même pas née quand Mobutu Sese Seko a succombé à un cancer le 7 septembre 1997, après quatre mois d'exil au Maroc.
Mercredi à Kinshasa, la seule commémoration annoncée est une messe célébrée à la demande de la famille. Et aucun lieu public ne porte le nom de Mobutu dans la capitale où le natif de Gbadolite (nord-ouest) a régné pendant 32 ans avant d'être chassé en mai 1997 par les troupes de Laurent-Désiré Kabila, le père de l'actuel président Joseph Kabila.
Le legs politique perdure pourtant, d'après des experts. "Il y a une chose qui reste: la fierté d'être Congolais", assure à l'AFP l'écrivain David Van Reybrouck, auteur du best-seller multi-récompensé "Congo: une histoire".
L'auteur belge rappelle que Joseph-Désiré Mobutu avait lancé une campagne de "retour à l'authenticité" proscrivant les noms chrétiens, qui l'avait conduit à se rebaptiser Mobutu Sese Seko, et à remplacer sur la carte le Congo par le Zaïre (le nom que les premiers explorateurs portugais auraient donné à l'embouchure du fleuve Congo, en déformant eux-mêmes une expression d'une langue locale).
"Nous voulons pour le Zaïre une seule famille, un seul père, une seule mère, un seul territoire, un seul parti, un seul chef": voilà ce que répétait Mobutu chaque soir en ouverture des "Actualités".
Cette propagande a permis de maintenir jusqu'à aujourd'hui l'unité de ce territoire qui s'étend sur 2,3 millions de km2 et deux fuseaux horaires, bordé par neuf frontières, peuplé de plus de 400 tribus parlant quatre langues en plus du français (lingala, kikongo, tshiluba et swahili). "Mobutu a réalisé en dix ans ce que l'Union européenne n'a pas réussi à faire en 60 ans", résume David Van Reybrouck.
Reproduction d'un système
"Il reste le souvenir d'une dictature mais qui avait donné sa dignité au pays", ajoute le réalisateur belge Thierry Michel, auteur d'un long documentaire "Mobutu roi du Zaïre" qui doit être rediffusé sur TV5Monde jeudi soir.
"Je n'ai pas une image positive de Mobutu car il a crée les conditions de l'effondrement du Congo", ajoute Thierry Michel. "Mais il a toujours tué en ciblant, avec parcimonie, en tous cas il a empêché que le pays ne sombre dans la violence d'aujourd'hui. Il n'y a pas eu à l'époque de Mobutu ces massacres qui ravagent plusieurs provinces aujourd'hui, comme le Kasaï".
Les violences qui impliquent miliciens, soldats et policiers au Kasaï (centre) depuis septembre 2016 ont causé la mort de plus de 3.000 personnes, d'après des chiffres rassemblés par l'Eglise catholique, et environ 1,4 million de gens ont fui leurs foyers dans cette région du centre du pays, selon l'ONU.
Dans leurs deux oeuvres magistrales, les deux Belges évoquent un certain âge d'or du Zaïre de Mobutu au tournant des années 1960-70, symbolisé par la victoire des "Léopards" en Coupe d'Afrique des Nations de football en 1974 et l'organisation la même année à Kinshasa du "combat du siècle" entre Mohamed Ali et George Foreman, à renfort de millions de dollars pour satisfaire les exigences des deux boxeurs américains.
Mais si cette époque peut être source de nostalgie aujourd'hui, où l'ex-Zaïre traverse une double crise économique et politique, certains y voient aussi les racines d'un modèle politique qui s'est perpétué.
"De Mobutu, il reste une chose essentielle: la personnification du pouvoir", regrette Philemon Mwamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Kinshasa. "Ceux qui l'ont remplacé et qui l'avaient combattu l'ont reproduit à merveille".
La RDC est plongée dans une grave crise politique liée au maintien au pouvoir du président Joseph Kabila dont le deuxième mandat a pris fin le 20 décembre 2016.
"Cet anniversaire nous rappelle l'échec du développement et de la gouvernance dans notre pays", conclut amèrement un autre enseignant de sciences politiques, le professeur Jean-Pierre Buebwa Kalala de l'Université catholique du Congo. "Nous n'avons plus d'argent mais les idées sont les mêmes: ne pas regarder l'intérêt du pays mais les intérêts égoïstes".
Avec AFP